Dérapage budgétaire français incontrôlé : à qui revient VRAIMENT la faute ? - Par Jean-Philippe Feldman
Quand on scrute les chiffres, on constate que les dépenses de l’État ont stagné, fût-ce artificiellement, que les dépenses des collectivités locales ont beaucoup augmenté en vertu de la «décentralisation centralisée» ouverte par les lois de 1982-1983, enfin que les dépenses sociales ont littéralement explosé, en raison notamment du poids grandissant des retraites. Par Jean-Philippe Feldman de l'IREF pour Atlantico.
Atlantico : Quels ont été les grands moments de l’évolution de la dette française ces dernières décennies ? Que s’est-il réellement passé après le premier choc pétrolier, puis en 1981 et après le tournant de la rigueur au niveau des dépenses publiques ? A quel niveau était la dette française lors de ces différents moments ? Quelles ont été les principales évolutions sur la dette et quelles ont été les dépenses publiques qui ont dérivé lors de ces différentes séquences ?
Jean-Philippe Feldman : Il faut rappeler au préalable que, aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de France, notre pays a toujours été mal géré. Les périodes de gestion convenable ont donc constitué de brèves parenthèses. La Ve République ne fait pas exception. Le général de Gaulle, lors de son retour au pouvoir en 1958, a souhaité mettre de l’ordre dans les finances publiques, ce qui était aussi une nécessité au regard de la nouvelle Europe communautaire comme des engagements internationaux de la France. En dépit de la crise de 1968, cette période de sérieux budgétaire s’est globalement poursuivie jusqu’au premier choc pétrolier. Si je disais que nous ne nous sommes toujours pas remis des deux chocs pétroliers des années 1970, ce serait provocant, mais pas totalement faux…
Toutefois, la dette publique est restée modérée jusqu’à la veille de l’élection présidentielle de 1981. Elle est restée stable, elle a même baissé, entre la fin des années 1960 et la fin des années 1970 : 20,2 % du PIB en 1970, 18,5 en 1980. Comme on a pu le dire à l’époque, les caisse étaient pleines quand François Mitterrand est arrivé aux commandes, même si Valéry Giscard d’Estaing avait déjà ouvert les vannes de manière électoraliste. Le programme économique et social délirant des socialo-communistes a fait plonger le pays. Malgré l’effort de redressement avec le « tournant de la rigueur », puis l’arrivée au pouvoir de la droite et du centre, un tabou a sauté : l’équilibre budgétaire n’a plus été recherché. La dette publique reste encore dans une fourchette qui n’est pas trop catastrophique dans les années 1980 (37,1 % du PIB en 1990), et même encore dans les années 1990, même si elle a commencé à croître de manière très inquiétante (57,5 % en 2000). Mais c’est ensuite que le bateau est devenu ivre. Les chiffres ont été catastrophiques dans les années 2000 : 82,7 % du PIB en 2010 ! Et que dire des années 2010-2020 : 98,5 % en 2017 ! Emmanuel Macron laissera son nom dans l’histoire pour au moins une raison : il aura été le Président sous lequel le déficit budgétaire aura été le plus élevé sous la République en temps de paix ! La dette a frôlé les 111 % du PIB en 2023. Exactement six fois plus qu’en 1980, en à peine plus de 40 ans !
Quand on scrute les chiffres, on constate que les dépenses de l’État ont stagné, fût-ce artificiellement, que les dépenses des collectivités locales ont beaucoup augmenté en vertu de la « décentralisation centralisée » ouverte par les lois de 1982-1983, enfin que les dépenses sociales ont littéralement explosé, en raison notamment du poids grandissant des retraites.
Un second tabou a sauté, de manière paradoxale, avec l’adoption de l’euro. Certes, les dévaluations du Franc n’étaient plus possibles, mais la monnaie commune et la règle arbitraire du déficit maximal de 3 %, associées à l’impuissance du contrôle communautaire et à la grande tolérance envers les déficits français, ont permis une extension exceptionnelle de l’endettement hexagonal. A fortiori avec le prétexte des « crises » et avec la facilité permise par la baisse des taux d’intérêts.
Le régalien a été une variable d’ajustement facile jusqu’à ces dernières années, la « grande muette » qu’est l’armée permettant de porter atteinte sans douleur apparente au budget militaire et de tirer les « dividendes de la paix » après la chute du mur de Berlin jusqu’au début du premier mandat d’Emmanuel Macron. Aujourd’hui, le régalien, à savoir l’armée, la justice et la sécurité, pèse 6 % des dépenses de l’État seulement. Le reste, c’est le « modèle social » français, dont personne ne veut hors de nos frontières.