Claire Fourcade et Astrid Panosyan-Bouvet : «Aide active à mourir, pourra-t-on éviter les dérives?»
GRAND ENTRETIEN - La présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, Dr Claire Fourcade, et la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, qui s’est récemment prononcée pour un référendum sur l’aide à mourir, ont échangé sur la question délicate de la fin de vie.
Par Alexandre Devecchio, Eliott Mamane, pour Le Figaro Magazine
LE FIGARO. - Dans une interview dans La Croix , vous avez expliqué qu’avant d’y être confrontée vous-même, vous n’aviez pas de certitude sur le sujet de la fin de vie et de l’aide active à mourir. Avez-vous acquis des certitudes ou la mort est-elle toujours un cas singulier ?
Astrid PANOSYAN-BOUVET. - La mort est universelle autant que singulière : toute vie est unique et toute fin de vie l’est aussi. Je ne veux donc pas faire de mon expérience personnelle une vérité universelle. Sur ce sujet plus que tout autre, je crois que le doute est utile et fertile. Si j’ai une conviction cependant, c’est qu’un malade dit moins «je veux mourir» que «je ne veux plus vivre comme ça». Il y a plusieurs raisons à ça : douleurs réfractaires, tristesses inconsolables ou sentiment que la vie a perdu son sens que ni la médecine, ni la fraternité ni l’amour des proches ne peuvent soulager. Ces détresses nous obligent à nous regarder nous-mêmes : l’accompagnement – les soins palliatifs en font partie – est central.
Claire Fourcade, vous êtes médecin en soin palliatif et venez de publier Journal de la fin de vie (Fayard, 2025). Vous avez beaucoup appris sur la vie, la mort et les patients grâce à votre expérience. Vos préjugés ou certitudes ont-ils évolué avec votre travail ?
C. F. - La médecine n’emploie pas suffisamment ces mots, mais l’expérience de la maladie est une expérience de l’incertitude. Or vivre dans l’incertitude est difficile. Les soignants doivent accompagner cette incertitude : comment vivre avec la maladie ? De quoi demain sera-t-il fait ? Je fais ce métier depuis vingt-cinq ans : les doutes ne peuvent pas nous quitter. Le jour où ils nous quittent, il faut changer de métier. Pour accompagner singulièrement chaque patient selon ses valeurs, ses attentes, son histoire, ses craintes ou ses espoirs, on doit suivre, ensemble, le même « chemin de l’incertitude ». Avec chaque patient, on découvre un chemin différent : j’ai toujours l’impression, au bout de vingt-cinq ans, d’apprendre chaque jour de nouvelles choses sur la vie et la mort.
"La question est de savoir comment, en tant que société, nous souhaitons répondre à la demande de mort"
Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs
"Une société qui permet de donner la mort peut aussi envoyer un message fort aux personnes vulnérables sur le sens et l’attachement donnés à la vie"
Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail
Il est écrit dans la loi que les soignants doivent tout mettre en œuvre pour soulager le patient, quoi qu’il en coûte, même si cela doit raccourcir sa vie
Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail
Maintenant, il faut déterminer si l’euthanasie et le suicide assisté font partie des soins ou non
Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs
"Collectivement, les soignants ont estimé qu’ils devaient prendre la parole dans ce débat pour y injecter du réel : ce n’est pas qu’un débat d’idées ou philosophique"
Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs
Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail
"Il faut ainsi écouter librement quelqu’un qui parle de la mort, de ses angoisses, de ses craintes…"
Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs
"Les protocoles stricts c’est aussi l’amoindrissement de ce questionnement permanent"
Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail
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