Une armée européenne est-elle possible ? - Par Martin Anne


L’Europe peut-elle se passer de l’OTAN et disposer de sa propre armée ? Analyse des budgets et des matériels nécessaires pour que l’Europe dispose d’une véritable capacité militaire.


Si une alliance européenne équivalente à l’OTAN voyait le jour et s’appuyait sur un budget de 1110 milliards de dollars (la somme de 5% des PIB européens), soit environ 200 milliards de dollars de plus que les États-Unis, les rapports de forces seraient rééquilibrés entre les deux côtes de l’Atlantique. Les bases américaines, héritage de la 2e guerre mondiale et de la guerre froide présentes en Europe, pourraient retourner en Amérique. En effet, avec 300 millions d’habitants et une maîtrise des hautes technologies, l’Union européenne possède la capacité de détenir une armée nombreuse et bien équipée.

La pertinence d’une alliance européenne

La création d’une industrie commune de défense offrirait deux avantages principaux. Premièrement, une industrie prévue pour équiper une armée d’un million d’hommes (ordre de grandeur des armées russes et américaines) s’appuyant sur un budget de plus 1000 milliards posséderait des chaînes de production conséquentes. La transition d’une économie de paix vers une production de masse en cas de guerre totale serait rapide, plausible et efficace.De plus, si l’ensemble de l’alliance européenne possédait le même matériel, les problèmes d’interopérabilité que connaît notamment l’armée de terre française avec l’OTAN n’existeraient plus. Ainsi, chaque unité serait capable de communiquer avec celle des autres pays, les rendant parfaitement interchangeables.
Sur le papier, l’armée européenne apparaît donc comme crédible et efficace.

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L’Europe, un continent sans leadership

Dans sa forme actuelle, l’Union européenne n’est pas rassemblée derrière un dirigeant, et les différents pays européens ont réagi de manière discordante face à l’invasion de l’Ukraine et aux attaques du 7 octobre en Israël, par exemple. Il n’existe pas de vision européenne de la politique étrangère. La guerre étant « la continuation de la politique par d’autres moyens », on risquerait d’obtenir selon le mot d’Alexandre le Grand « une armée de lion dirigée par un mouton ».

L’histoire démontre que les alliances militaires multinationales sans nation leader définie et légitime sont handicapées sur le terrain par un manque de cohérence et de coordination. Ainsi l’armée de l’empire austro-hongrois a connu de grandes difficultés lors de la 1re guerre mondiale, notamment à cause des différences linguistiques. L’Empire romain s’est retrouvé face à des révoltes à la suite de l’incorporation des Goths sans les avoir vaincus au préalable, les mamelouks et les janissaires corps militaire d’esclave d’origine non musulmane seront à l’origine de nombreuses révoltes dans l’Empire ottoman. Ainsi, l’assise bancale de la constitution des armées évoquées a conduit à la disparition des empires les possédants.
Celles qui ont été efficaces possédaient une épine dorsale claire.

On pourrait balayer cette problématique d’un revers de main en mettant en avant la force des circonstances qui verront les énergies se rassembler autour de la nation la plus capable. Malheureusement, cette vision ne permet aucune préparation sérieuse et rigoureuse d’un futur conflit et, comme le monde le sait depuis longtemps « qui veut la paix prépare la guerre ».

Deux types d’alliance

Cette absence de hiérarchie serait également problématique dans la constitution même de l’alliance militaire. En effet, deux types d’alliances sont envisageables, la première de type « grande armée » où les troupes de multiples nations sont fondues dans la même structure, la seconde de type OTAN dans laquelle chaque pays conserve sa propre armée tout en étant capable d’agir de concert.

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La 1re option permet la spécialisation des nations et donc des moyens alloués par celle-ci, quand l’autre conserve l’autonomie de chacun des membres et permet la décentralisation du commandement et des organes de contrôles. Le premier choix serait idéal dans une Europe fédérale quand le second serait cohérent au sein d’une confédération. Les discordances politiques quant à la structure même de l’Union européenne auront donc un impact direct sur l’organisation de l’alliance.
L’absence de consensus risque donc de conduire à un entre deux, qui bien souvent cumule les défauts des différents modèles.

Une industrie de défense répond à une doctrine militaire

La création d’une industrie de défense européenne sera confrontée au même défi. En effet, le matériel d’une armée répond à une doctrine d’emploi et une stratégie nationale.
Ainsi, l’exemple de l’Eurofigthers mis en concurrence avec le Rafale incarne cette difficulté. La France souhaitait un avion capable de poser sur son porte-avions, ce dont l’Eurofighter n’est pas capable. De fait, un pays comme la France ou l’Angleterre doit pouvoir protéger ses territoires d’outre-mer au contraire de la Pologne. Ainsi, certains auront besoin d’un groupe aéronaval supplémentaire quand d’autres souhaiteront une division blindée de plus.

Les programmes du SCAF (système de combat aérien du futur) et du MGCS (main ground combat system) prennent du retard régulièrement pour l’ensemble des raisons évoquées ci-dessus. Ce type de discordance s’incarne également dans des matériels qui peuvent sembler anecdotiques, le cas du choix du pneu ou de la chenille pour les véhicules blindés en est l’incarnation. En effet, lors de ses interventions en Afrique, l’armée française s’est habituée à reposer sur une logistique légère et donc à changer des pneus plutôt que réparer des chenilles. Le choix même de ce matériel trivial dépend d’une doctrine, d’un type d’opération et même d’un rapport culturel. En France, la « voie sacrée de Verdun » consacre la victoire de la logistique par camion sur celle par voie ferrée. Cette opération faisant encore figure d’exemple de réussite, elle pousse donc culturellement les officiers français vers ce type de matériels.

La France, seul pays d’Europe capable d’assumer ce leadership

Pourtant, il est possible de créer une épine dorsale en s’appuyant sur une doctrine claire et une industrie déjà existante. En effet l’armée française détient encore l’ensemble des capacités modernes et les produits très majoritairement de manière nationale.

Seul pays de l’UE à le posséder, le parapluie nucléaire français est totalement autonome et indépendant. Il pourrait être développé pour égaler celui russe, la France n’ayant pas signé de traité limitant sa capacité nucléaire, elle ne remettrait en cause aucune norme internationale.
Ensuite, la capacité d’intégration de pays étrangers au sein de programmes d’armement français est réelle. Ceci permettrait l’interopérabilité si nécessaire dans le cadre d’alliance multinationale. Le programme « camo » qui équipe l’armée belge des nouveaux matériels Scorpions en est l’illustration.

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Enfin, l’expérience opérationnelle des officiers français est de loin la plus riche d’Europe occidentale. Celle-ci permettra de standardiser les différentes doctrines européennes tout en se fondant sur une certaine expérience du combat et de la manœuvre moderne. De plus, l’opinion publique française touchée dans sa chair par les différents attentats islamistes a glorifié le sacrifice de ses soldats en Afghanistan et au Mali, et l’antimilitarisme est aujourd’hui anecdotique. Cela n’est pas le cas dans une majorité de l’Europe et notamment en Allemagne, où le poids de la « Schuld » est encore palpable.
Si la France consacrait 5% de son PIB à son armée, elle atteindrait 145 M d’euro, soit l’équivalent du budget russe actuel. Ceci permettrait d’augmenter les effectifs, de financer l’industrie de défense et de proposer un allié crédible au pays directement à la frontière de la Russie. L’Ukraine manque cruellement d’alternative.
La France a donc la capacité de prendre l’initiative pour proposer une réelle alternative à une alliance dominée par les États-Unis. Cela en contribuant à réindustrialiser son économie et à produire des produits à hautes valeurs ajoutées.


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