Réarmer les esprits… soit. Mais qui peut croire que ça se fera en divisant les Français ? - Par Philippe d'Iribarne
Sursaut national... Le ministre des Affaires étrangères veut entreprendre un tour de France dans cet objectif.
Philippe d’Iribarne : J'éprouve des sentiments contradictoires sur cette question. Je fais partie de la génération qui, dans son enfance, a vécu les conséquences de la Seconde Guerre mondiale. De nombreux moments historiques reviennent à ma mémoire, notamment les propos de Churchill à propos de Munich : “Vous aviez le choix entre le déshonneur et la guerre. Vous avez choisi le déshonneur et nous aurons la guerre”. Un autre moment marquant a été le pacte germano-soviétique, où l'extrême gauche est devenue ultra-pacifiste dans ses rapports avec l'Allemagne. Cette expérience conduit à se méfier d’un refus de voir le danger. A propos de la guerre en Ukraine, dire qu'il n'y aurait pas de danger du côté de la Russie paraît un peu simpliste. Concernant la défense européenne, pensons aux propos du général de Gaulle, qui remontent aux années 1960, déjà abondamment cités. Il avait affirmé que l'Europe ne pourrait pas vivre indéfiniment sous le parapluie américain et qu'il serait nécessaire, un jour, de se réarmer. Aujourd'hui, l'Europe donne l'impression de se réveiller, notamment la France et l'Angleterre, face au danger russe, qui est réel. J’ai en mémoire un colloque, organisé il y a quelques années, où un responsable américain du renseignement était venu parler de ce danger. Il avait affirmé que la menace iranienne n'était rien comparée à la menace russe. Il avait évoqué la capacité de la Russie à déstabiliser l'Occident.
Il y a eu un véritable retard dans la prise de conscience du danger russe en Europe. Emmanuel Macron n’a pas tort de dire que “le monde est fait d’herbivores et de carnivores. Si on décide de rester des herbivores, les carnivores gagneront et nous serons un marché pour eux”. Il n'est pas dans notre intérêt d'être du côté des herbivores en effet.
D’un autre côté, affirmer, au nom de l’existence d’un danger, que le patriotisme interdit toute critique du président est exagéré. La manière dont Emmanuel Macron s’exprime sur cette question est hautement discutable, notamment dans sa tendance à se mettre en scène. Le fait d’affirmer que les citoyens seraient de mauvais patriotes s’ils ne sont pas d’accord avec lui en tous points envoie un mauvais signal.
Pour autant, ce n'est pas parce que la manière est maladroite qu'il ne faut pas prendre la menace russe et la nécessité d’un certain réarmement au sérieux. Même si Trump n'est au pouvoir que pour quatre ans, Obama, Clinton et Bush ont déjà critiqué l’Europe pour sa réticence à devenir pleinement acteur de sa défense. Globalement, l'Europe représente plus que les États-Unis en termes de territoire et doit être capable d'assurer sa propre défense dans un monde où la Chine, les États-Unis, la Russie jouent un rôle de prédateurs. Il lui faut être en mesure de se faire respecter. Or, tous les analystes militaires, même les plus bienveillants envers ce qui a été fait au cours des dernières décennies, reconnaissent que les pays de l’Union européenne ont de sérieuses lacunes dans leurs capacités de défense.
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