Dissuasion nucléaire : derrière le concept, de quoi parle-t-on vraiment ? - Par François Géré

Alors que le président de la République vient de remettre sur la table l’idée de créer une défense européenne, François Géré, président de l'Institut français d'analyse stratégique, rappelle principes fondamentaux de la dissuasion nucléaire et les conséquences d’un tel scénario.

François Géré est président de l'Institut français d'analyse stratégique (ifas).


Pour éviter un nième enlisement de discussions sur la composante nucléaire de la défense européenne, il importe en préalable de prendre en compte ses principes fondamentaux.

La dissuasion est un mode d'action à but négatif aussi ancien que la guerre. Visant à interdire les velléités d'action d'un adversaire, il a été pratiqué avec plus ou moins de succès en raison de son caractère aléatoire. Il repose sur le calcul des probabilités connu dès le XVIIe siècle. En 1800, le mathématicien Pierre-Simon Laplace remarquait : «dans la conduite de la vie…il convient d'égaler au moins le produit du bien que l'on espère par sa probabilité, au produit semblable de la perte.»

Auparavant si un agresseur prenait le risque de transgresser la dissuasion classique et que son entreprise tournait mal il subissait une défaite mais n'en mourait pas. Avec l'atome, la dissuasion revêt désormais une toute autre dimension car la probabilité d'occurrence de la riposte nucléaire comporte le risque d'une perte exorbitante, dite insupportable, dépassant la valeur de l'enjeu.

Il doit être clairement entendu que la stratégie de dissuasion nucléaire n'apporte pas la paix absolue. Elle ne saurait éviter ni les conflits régionaux limités ni supprimer l'action terroriste.

Elle ne peut en effet s'exercer que dans le cas d'une attaque massive, quelle qu'en soit la nature, contre les intérêts vitaux du pays agressé. Ce «périmètre du vital» ne doit pas être défini restant à l'appréciation du chef de l'État de manière à placer le candidat agresseur dans l'incertitude. La stratégie de dissuasion nucléaire repose sur cinq principes.

Principe de crédibilité

La dissuasion nucléaire exige la création et la démonstration de capacités techniques. C'était le rôle des essais qui ne sont plus nucléaires depuis leur suspension pour une durée indéterminée en 1994 ou leur interdiction par un traité (TICE).

· Principe de permanence : la SDN est assurée par le chef de l'État, seul décideur, disposant 24h/24 des codes électroniques et des moyens de transmission aux forces stratégiques aériennes en veille et aux sous-marins en patrouille. La robustesse des communications est vitale.

Principe d'incertitude

«L'effet dissuasif résulte de la combinaison d'une certitude et d'incertitudes dans le champ mental d'un candidat agresseur : certitude quant à l'existence d'un risque inacceptable… incertitudes sur les conditions exactes d'application du modèle en cas d'ouverture des hostilités.»

· Principe de suffisance pour une puissance moyenne comme la France en quantité et en qualité ni trop, ni trop sophistiqué.

C'est ce que l'on nomme parfois «dissuasion du faible au fort» (c'était l'Union Soviétique). Il est inutile et ruineux de se lancer dans une course aux armements, il faut et il suffit de disposer.

a) d'une force nucléaire invulnérable capable de riposter en cas d'agression (les SNLE sous-marin nucléaires lanceurs d'engins sont durablement indétectables). Il est indispensable de prévoir une redondance en cas de défaillance humaine ou technique. En janvier 2024, la Royal Navy a enregistré deux tirs ratés du Trident, missile de conception américaine pourtant éprouvé de longue date.

b) de passer les défenses adverses.

L'interception à 100% n'existe pas. Le dommage reste tolérable si les charges explosives sont classiques mais si elles sont nucléaires le problème change complètement. Une salve de SNLE envoie 96 charges pouvant «vitrifier» potentiellement autant de cibles. Aucune défense ne parviendrait à les intercepter quels que soient les progrès réalisés. D'autant plus que ces têtes sont environnées de leurres, manoeuvrantes (changement de trajectoire) et furtives (faible signature radar). Cette supériorité durable de l'agression sur la protection fait donc de la SDN l'unique parade.

Principe de proportionnalité

Le volume des destructions dites « insupportables » est rapporté à la valeur de l'enjeu ; en l'occurrence l'invasion et la conquête de la France valent-elles l'anéantissement d'un ou deux ou trois centres vitaux de l'agresseur ?

Dès lors que cibler ? Anticités ou antiforces ? Les progrès de la précision permettent un ciblage plus fin sur des surfaces réduites. Le discours officiel quelque peu jésuitique affiche que la France ne vise plus les villes mais les centres de commandement des forces nucléaires et les centres décisionnels, en l'occurrence les dirigeants politiques. Toutefois, on relèvera que de telles cibles se situent rarement au cœur des déserts mais ont le mauvais goût de se trouver au beau milieu de zones densément peuplées.

La création d'une dissuasion stratégique nucléaire européenne devra donc souscrire à l'ensemble de ces principes. Toutefois, la valeur de l'enjeu pour l'agresseur changerait de dimension. Des intérêts vitaux de la France seule, on passerait à ceux de l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Le calcul de la proportionnalité s'en trouverait affecté.

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