« La République peut être orgueilleuse mais pas méprisante » - Par Régis Debray
« Revue des Deux Mondes – En 1989, vous aviez rédigé avec Élisabeth Badinter, Alain Finkielkraut, Catherine Kintzler et Élisabeth de Fontenay l’appel dans le Nouvel Obs, contre le « Munich de l’Éducation ». Vous souhaitiez que la République reste ferme par rapport à l’offensive islamique à l’intérieur de l’école, notamment avec la revendication du port du foulard. Trente ans après, la République tient-elle encore debout ?
Régis Debray : Debout, non. À genoux, pas encore. Mais l’échine est souple et ça penche. C’est la poisse des mots-valises qu’on peut les transporter partout pour se faire bien voir, sans les ouvrir et voir ce qu’il y a dedans. J’ai essayé jadis de voir ce que « République » veut dire exactement (dans un petit texte intitulé « Êtes-vous démocrate ou républicain ? »). Pour aller vite, en République française, les deux poumons du village sont l’école et la mairie ; dans la démocratie américaine, ce sont le drugstore et l’église. Vaste sujet. Passons.
Laïcité ? Un autre fourre-tout qu’il suffit de répéter trois fois en sautant sur sa chaise pour décrocher sa Légion d’honneur. Laïque et républicaine, il y a là deux faces de l’exception culturelle française, en Europe et dans le monde, et qui n’en font qu’une. On doit en être fier, sans se prendre pour le sel de la Terre ni s’attribuer un magistère universel. Il n’y a pas de honte à faire cavalier seul, c’est même ce que la France fait de mieux quand elle est la France. De là à faire le matamore, non. Ni à s’adjuger des attributs libertaires que nous n’avons pas.