L'urgence conservatrice - Par Frédéric Rouvillois
Quelque chose ? Pas n’importe quoi, bien sûr : quelque chose que l’on estime important, capital, décisif, quelque chose qui conditionne l’identité, sinon l’existence même. En somme, le conservatisme est par nature une réaction à une menace grave pesant directement sur des éléments que l’on juge essentiels. C’est ce que confirme l’histoire de l’idée : lorsqu’une telle menace n’existe pas, qu’elle n’est pas perceptible ou qu’elle semble trop ténue, le conservatisme n’a pas de raison d’être, et de fait, il n’apparaît pas.
« Le conservatisme, que ses détracteurs stigmatisent ordinairement comme une pensée molle, apparaît au contraire comme une doctrine du combat, sinon de la rébellion »
Dans la France d’Ancien Régime, on rencontre certes un petit nombre de réactionnaires exaltés qui pensent que c’était forcément mieux avant : au XVIIIe siècle, tel est le cas du célèbre et fantasque comte de Boulainvillers, convaincu que la décadence de la monarchie française a commencé avec Blanche de Castille et qu’il faudrait en revenir aux admirables institutions de l’époque carolingienne ; au siècle précédent, c’est ce que pensent aussi certains grands seigneurs malmenés par Richelieu, qui rêvent, avec la Fronde, de rétablir leurs privilèges médiévaux et de faire éclater l’État royal en mille morceaux.
Des réactionnaires, donc, mais pas de conservateurs. Dans notre histoire, ceux-ci ne vont apparaître qu’au moment où le monde ancien s’écroule : avec la Révolution française, qui constitue selon Jacques Ellul la première « vraie » révolution au sens moderne du terme – dotée d’une vision globale de l’histoire et se proposant d’instituer une cité régénérée et un homme nouveau dans le cadre d’une temporalité radicalement nouvelle.
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