Jean-Baptiste Noé : La chose du monde la moins instructive ?
Rousseau ne comprend pas la guerre
Rousseau a lu, mais n’a pas compris Thucydide. Voilà ce qu’il écrit dans L’Émile : « Thucydide est, à mon gré, le vrai modèle des historiens. Il rapporte les faits sans les juger ; mais il n’omet aucune des circonstances propres à nous en faire juger nous-mêmes. Il met tout ce qu’il raconte sous les yeux du lecteur ; loin de s’interposer entre les événements et les lecteurs, il se dérobe ; on ne croit plus lire, on croit voir. » Jusque-là tout va bien, c’est un juste hommage à la pensée et à l’écriture de Thucydide. La suite est malheureusement d’un autre acabit : « Malheureusement il parle toujours de guerre, et l’on ne voit presque dans ses récits que la chose du monde la moins instructive, savoir les combats. »
« L’Athénien Thucydide a écrit l’histoire de la guerre entre les Péloponnésiens et les Athéniens et raconté les divers incidents de cette lutte. Il a commencé son œuvre au début même des hostilités, prévoyant combien cette guerre serait importante, combien plus mémorable que celles qui avaient précédé : il en avait pour preuve les immenses ressources de tout genre avec lesquelles les deux peuples allaient s’entrechoquer, et les dispositions des autres États de la Grèce qu’il voyait ou prendre parti immédiatement, ou méditer dès lors de le faire. C’est là, en effet, le plus vaste mouvement qui jamais se soit produit chez les Grecs ; il embrassa une partie des barbares, et ébranla pour ainsi dire au loin l’univers. »