Mathieu Bock-Côté : "La défense de la liberté d'expression devient une position réactionnaire"
Mathieu Bock-Côté : Surpris? Pas vraiment. La tendance se laissait deviner depuis plusieurs années, pour peu qu'on s'intéresse à ce qui se passe en Amérique du Nord. Les campus américains, depuis un bon moment, annoncent les tendances idéologiques qui tôt ou tard, emporteront nos sociétés. On pourrait dire que les idées qui y sont hégémoniques se sont déconfinées et contaminent désormais l'ensemble de la société. La censure d'intellectuels dissidents - ou qui ont tout simplement le mauvais goût de ne pas reprendre tous les slogans à la mode - est indissociable d'une transformation du rapport d'une frange importante de la gauche à la liberté d'expression. Il y a peu de temps, la gauche faisait encore semblant d'y croire et s'y disait attachée. Elle ne s'en donne plus la peine et théorise sans gêne la légitimité d'une nouvelle censure, fondée sur l'idée selon laquelle il ne faudrait plus tolérer ou accepter les discours contribuant à l'oppression des minorités.
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Récemment, le sociologue Geoffroy de Lagasnerie, qui a au moins la vertu de parler franchement, s'est fait le relai de ce projet. On l'a aussi constaté cet été à la suite de la publication d'un appel de 150 intellectuels de centre-gauche qui s'inquiétaient du développement de la cancel culture. Ces intellectuels, provenant essentiellement du monde anglo-saxon, réclamaient timidement et avec moults contorsions une restauration de la conversation démocratique. Ils furent accusés de verser dans le suprémacisme blanc et de plaider pour une représentation de l'espace public fondée sur l'occultation des paroles minoritaires.