Henri Guaino et Alain Bentolila : « Que peut l’école face à une société de plus en plus déshumanisée ? »
L’attaque au couteau mortelle dans un lycée de Nantes est un nouvel exemple tragique de la violence qui frappe l’institution scolaire. Face à ce mal profond, il y a urgence à ce que l’école retrouve son rôle de rempart de la civilisation contre la sauvagerie.
Encore un adolescent qui tue un adolescent, cinquante-sept coups de couteau, après tant d’autres. La violence est dans l’école avec son cortège d’intimidations, de menaces, de rackets, de trafics, d’agressions, de viols, de meurtres. On harcèle, on frappe, on blesse, on viole, on poignarde, on tue dans l’école, à la sortie de l’école, élèves et professeurs, pour un oui, pour un non, pour la drogue, pour la religion, pour une remontrance, un mot, un geste, un refus, un regard, pour rien, parce que pour trop d’enfants, d’adolescents, d’adultes, la violence est devenue un mode d’expression normal. Certes, les agresseurs, les violeurs, les harceleurs, a fortiori les tueurs, ne sont encore qu’une petite minorité dans l’océan de la population scolaire. Mais ce sont les conséquences qu’elle a sur la vie et le psychisme de tous les élèves, de tous les enseignants, de toute la société, et sur l’avenir qui donnent la mesure de la gravité de cette violence et non les statistiques.
Bien sûr, à chaque drame, on s’offusque, on s’indigne, avec les mêmes mots : « inacceptable », « insupportable », « intolérable ». Mots usés, vidés de leur sens, sans effet. Les partisans de l’ordre et de l’interdit réclament plus de policiers, de gendarmes, des portiques à l’entrée, plus de répression, des peines plus sévères, une surveillance accrue des réseaux sociaux où se promènent en toute liberté des déséquilibrés, des psychopathes, des semeurs de haine et de mort. Ils ont raison. Face à la violence, le laxisme se paye cher. Les autres réclament moins de répression et plus de prévention pour détecter les problèmes le plus tôt possible, plus d’assistantes sociales, de médecine scolaire, de vrais psychologues pour suivre les enfants et les adolescents, de moyens pour la psychiatrie en déshérence. Contre la répression, ils ont tort, mais pour la prévention, ils ont raison. L’état psychique d’une partie de la jeunesse est inquiétant.
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Dans l’émotion du moment, on fait des promesses. Promesses non tenues. Mais, même si elles l’étaient, suffiraient-elles à nous assurer que la violence serait canalisée, la barbarie vaincue ? Si l’école ne parvient plus à construire dans l’univers mental de chaque enfant qui lui est confié le rempart de la civilisation et de la civilité contre la sauvagerie, qu’adviendra-t-il quand la minorité, pour laquelle le temps et la vie n’ont pas la même valeur que pour nous, n’ayant cessé de grandir, nos forces de l’ordre, épuisées à couvrir trop de fronts, confrontées aux solidarités communautaires, et aux gangs, aux bandes, au crime organisé qui enrôleront toujours plus d’enfants dès le plus jeune âge, quand l’idéologie de l’excuse aura ôté tout effet dissuasif à la sanction, quand les thérapies de « déradicalisation » auront échoué en confondant l’analyse du contexte sociopolitique et la complaisance vis-à-vis du délit et du crime, quand le tueur à gages de 14 ans sera devenu une banalité, quand durant des décennies nous aurons enfanté des terroristes qui auront juré notre perte ?