SOS liberté d’expression en péril sur le vieux continent - Par Rafaël Amselem et Raul Magni Berton
En Europe, la montée des lois qui pénalisent les crimes d'expression comme la désinformation, les discours de haine, l’offense ou le blasphème restreignent toujours plus la liberté d'expression. Analyse de Rafaël Amselem et Raul Magni Berton pour Atlantico.
Raul Magni-Berton : Les raisons pour lesquelles Donald Trump fait ces remarques sur l’Europe et la liberté d’expression sont un peu déplacées. Il évoque les partis extrémistes et les cordons sanitaires utilisés en Europe. Mais il n'est pas illégal de soutenir ces partis ou de se présenter avec des opinions extrémistes. Donc, il n’y a pas véritablement un problème de liberté d'expression, mais plutôt un problème de culture démocratique.
En revanche, les mots de Trump frappent juste sur un autre point. Aux États-Unis, la liberté d'expression est considérée comme sacrée dans la Constitution. Elle est protégée de manière très forte. Par exemple, lorsque les attentats du 11 septembre 2001 ont eu lieu, dans les années qui ont suivi, il a été extrêmement difficile aux États-Unis d’introduire le délit d’incitation au terrorisme. D’ailleurs, ce délit n’existe pas. Il peut y avoir une sanction si l’incitation mène directement à un acte terroriste, mais une opinion, même très favorable aux attentats de 2001, ne peut pas être interdite.
Il y a donc une différence importante entre les États-Unis et l'Europe sur cette question. L'Europe est beaucoup plus nuancée dans ses positions constitutionnelles. Ainsi, en Europe, il peut effectivement y avoir des préoccupations sérieuses par rapport à la liberté d'expression, surtout lorsqu'un dirigeant comme Viktor Orban souhaite la restreindre. Mais il y a aussi des situations particulières à considérer. Par exemple, le terrorisme, la guerre, la pandémie de Covid-19. Ces situations d'urgence offrent aux autorités une marge de manœuvre plus large pour restreindre la liberté d'expression. En Europe, la frontière est parfois floue. Tandis qu'aux États-Unis, même en situation d'urgence, il est très difficile de restreindre la liberté d'expression. De ce point de vue, les États-Unis protègent davantage cette liberté. Ils acceptent les conséquences parfois mauvaises de cette protection, mais cela les aide à préserver leurs institutions, même dans des situations critiques.
Le système américain, qui présente de nombreux défauts, reste néanmoins très marqué en matière de droits individuels, de protection des droits et de séparation des pouvoirs. C’est un système qui est bien plus structuré que celui de nombreux pays européens. Les États-Unis n'ont jamais glissé vers l'autocratie, contrairement à plusieurs pays européens. Certains pays, comme le Royaume-Uni ou la Suisse, protègent particulièrement la liberté d’expression.
Il existe donc un lien entre une stabilité à long terme et une protection forte de la liberté d’expression, même si cela peut parfois choquer. Personnellement, je suis favorable à cette protection à long terme, et tant pis si, à court terme, cela peut parfois sembler exagéré ou excessif.
Rafaël Amselem : Il s’agit d’un débat complexe, pour deux raisons. La première, c’est qu’il y a, en Europe comme à l’échelle nationale, une montée en puissance des législations visant à lutter contre certains phénomènes objectivement problématiques pour les démocraties libérales. Je pense notamment à deux aspects : d’une part, les lois contre la désinformation, et d’autre part, celles contre la haine, le racisme, l’antisémitisme. Il me semble nécessaire que les démocraties libérales combattent ces dérives.
En revanche, les moyens employés ne sont pas toujours les plus adaptés. Prenons par exemple le cas de la France. La loi Avia prévoyait que les plateformes suppriment, dans un délai de 24 heures, les contenus jugés haineux. Le problème est que cette responsabilité reposait entièrement sur les plateformes, ce qui les poussait à mettre en place des mécanismes automatiques de censure. Autrement dit, tout contenu signalé était immédiatement supprimé par la plateforme, afin d’éviter toute entorse à la loi.
Les moyens mis en œuvre n’étaient donc pas les bons, car ils restreignaient la liberté d’expression. J’insiste sur le fait que l’objectif poursuivi était légitime. En démocratie libérale, l’expression de la haine ne relève pas du champ de la liberté d’expression. Permettre l’expression de la haine revient à opprimer davantage des personnes dont la parole est déjà limitée en raison de leur statut de minorité. Leur liberté d’expression est d’emblée entravée par divers mécanismes sociaux.
Concernant la désinformation, il est très difficile de lutter contre ce phénomène sans établir au préalable un critère permettant de distinguer une « bonne » d’une « mauvaise » information. A partir de là, cette situation fait courir le risque d’une dérive où l’appareil d’État ou l’autorité administrative ne combattent plus la désinformation de manière neutre, mais mettent en avant leur propre version de la vérité.
Aujourd’hui, personne ne parvient à résoudre cette question, en raison notamment du rôle des réseaux sociaux, de la montée du complotisme, et des relais massifs de certains discours. Ces relais sont tellement puissants qu’il devient extrêmement difficile d’y faire face. Tel est le véritable problème. Personne ne dispose encore d’outils juridiques adéquats, capables de concilier deux exigences fondamentales des démocraties libérales. D’une part, organiser un espace public – une agora – reposant sur une information de qualité ; d’autre part, protéger les minorités contre les vagues massives de discours haineux susceptibles de les marginaliser davantage et de les dissuader de s’exprimer.
En définitive, le problème ne réside pas tant dans l’intention que dans les instruments juridiques actuellement utilisés, qui, manifestement, ne sont pas les bons. Les moyens mis en place ne sont clairement pas adéquats.
La liberté d’expression peut poser problème dans d’autres circonstances en Europe. En Belgique, l’expression de la haine en soi n’est pas réprimée. Seule l’incitation à la haine est punie. Ainsi, l’expression de la haine n’est pas considérée comme illégale. Certains propos qui incitent à la haine ne peuvent pas relever toujours de la liberté d'expression.
Rafaël Amselem : Il s’agit d’un débat complexe, pour deux raisons. La première, c’est qu’il y a, en Europe comme à l’échelle nationale, une montée en puissance des législations visant à lutter contre certains phénomènes objectivement problématiques pour les démocraties libérales. Je pense notamment à deux aspects : d’une part, les lois contre la désinformation, et d’autre part, celles contre la haine, le racisme, l’antisémitisme. Il me semble nécessaire que les démocraties libérales combattent ces dérives.
En revanche, les moyens employés ne sont pas toujours les plus adaptés. Prenons par exemple le cas de la France. La loi Avia prévoyait que les plateformes suppriment, dans un délai de 24 heures, les contenus jugés haineux. Le problème est que cette responsabilité reposait entièrement sur les plateformes, ce qui les poussait à mettre en place des mécanismes automatiques de censure. Autrement dit, tout contenu signalé était immédiatement supprimé par la plateforme, afin d’éviter toute entorse à la loi.
Les moyens mis en œuvre n’étaient donc pas les bons, car ils restreignaient la liberté d’expression. J’insiste sur le fait que l’objectif poursuivi était légitime. En démocratie libérale, l’expression de la haine ne relève pas du champ de la liberté d’expression. Permettre l’expression de la haine revient à opprimer davantage des personnes dont la parole est déjà limitée en raison de leur statut de minorité. Leur liberté d’expression est d’emblée entravée par divers mécanismes sociaux.
Concernant la désinformation, il est très difficile de lutter contre ce phénomène sans établir au préalable un critère permettant de distinguer une « bonne » d’une « mauvaise » information. A partir de là, cette situation fait courir le risque d’une dérive où l’appareil d’État ou l’autorité administrative ne combattent plus la désinformation de manière neutre, mais mettent en avant leur propre version de la vérité.
Aujourd’hui, personne ne parvient à résoudre cette question, en raison notamment du rôle des réseaux sociaux, de la montée du complotisme, et des relais massifs de certains discours. Ces relais sont tellement puissants qu’il devient extrêmement difficile d’y faire face. Tel est le véritable problème. Personne ne dispose encore d’outils juridiques adéquats, capables de concilier deux exigences fondamentales des démocraties libérales. D’une part, organiser un espace public – une agora – reposant sur une information de qualité ; d’autre part, protéger les minorités contre les vagues massives de discours haineux susceptibles de les marginaliser davantage et de les dissuader de s’exprimer.
En définitive, le problème ne réside pas tant dans l’intention que dans les instruments juridiques actuellement utilisés, qui, manifestement, ne sont pas les bons. Les moyens mis en place ne sont clairement pas adéquats.
La liberté d’expression peut poser problème dans d’autres circonstances en Europe. En Belgique, l’expression de la haine en soi n’est pas réprimée. Seule l’incitation à la haine est punie. Ainsi, l’expression de la haine n’est pas considérée comme illégale. Certains propos qui incitent à la haine ne peuvent pas relever toujours de la liberté d'expression.