J’ai lu et aimé : « Pourquoi les intellectuels se trompent » - De Samuel Fitoussi
J’ai lu et aimé le remarquable ouvrage de Samuel Fitoussi, « Pourquoi les intellectuels se trompent », qui vient de paraître aux Éditions de l’Observatoire. Fascination pour le totalitarisme, aveuglement face aux crimes de masse… ni l'érudition, ni le mur de la réalité ne font obstacle à la diffusion d'idées absurdes ou carrément nuisibles. Même les esprits les plus brillants peuvent défendre l’indéfendable. Dans cet essai riche et passionnant, Samuel Fitoussi, avec une plume acérée, dresse le bilan politique et moral désastreux d’une certaine intelligentsia, surtout parmi les autoqualifiés de progressistes. Nourrie de sciences sociales, d’histoire des idées et de psychologie cognitive, l’auteur décortique les raisons pour lesquelles l’intelligence, loin de prémunir contre l’erreur, peut parfois y conduire. Il décrit les mécanismes pouvant conduire des esprits brillants à adopter des idées fausses, absurdes ou totalitaires. « Certaines idées sont tellement absurdes que seuls les intellectuels peuvent y croire », disait George Orwell. Une réflexion très actuelle.
Certaines idées sont tellement absurdes que seuls les intellectuels peuvent y croire, disait George Orwell. Et il avait raison, soutient Samuel Fitoussi, car non seulement l’intelligence ne protège pas de l’erreur, mais elle peut y prédisposer !
Dans un ouvrage stimulant, érudit et impertinent, l’auteur examine les mécanismes sociaux, culturels et cognitifs qui conduisent les intellectuels à l’aveuglement, parfois au détriment de la société qu’ils prétendent éclairer. L’idéologie empêche le cerveau de fonctionner correctement, la virtuosité argumentative est souvent mise au service de la mauvaise foi, et le conformisme, le désir d’approbation et les excès de certitudes détournent de la quête de vérité. Quant à l’Université, autrefois temple du savoir, elle risque de devenir un monde clos, autoréférentiel, où la réalité ne pénètre plus.
Nourri à la pensée de George Orwell, Jean-François Revel, Thomas Sowell, Raymond Aron, ou Steven Pinker, s’appuyant sur une riche littérature scientifique et une foule d’exemples historiques, Samuel Fitoussi nous met en garde : il est toujours plus facile de déceler les égarements du passé – une fois l’histoire écrite – que les aveuglements collectifs du présent !… Plus que jamais d’actualité.
Les bonnes feuilles de Samuel Fitoussi.
Table des matières
- La faillite de l’intelligentsia au 20ème siècle (extrait de l’introduction)
- Un mépris de l’homme ordinaire ? (Extrait du chapitre 6)
- Jeunesse passe-t-elle ? (Extrait du chapitre 5)
- Que faire ? (Extrait de la conclusion)
Pourquoi les intellectuels ne paient jamais le prix de leurs erreurs ?
Par Joseph Le Corre
Le titre est provocateur, mais Samuel Fitoussi ne cherche pas simplement à jouer les trublions. Dans son dernier livre, Pourquoi les intellectuels se trompent (L'Observatoire), il débarque, études scientifiques sous le bras et penseurs de génie en renfort, pour s'attaquer à l'une des plus grandes énigmes de la seconde moitié du XXe siècle : comment des esprits aussi brillants que Sartre ou Foucault – pour ne citer qu'eux, la liste pourrait remplir un bottin – ont-ils pu rester sourds et aveugles aux massacres de l'URSS, de Pol Pot ou de Mao ?
L'essayiste, dont la plume amusée fait régulièrement sourire les lecteurs du Figaro, prend ici la question au sérieux. Pas question de sombrer dans l'anti-élitisme de comptoir : il ne prétend pas que les intellectuels se trompent tout le temps, mais s'interroge : pourquoi, lorsqu'ils se trompent, le font-ils avec une telle maestria ? Pour résoudre cette énigme, il convoque des outils (trop) peu utilisés sous nos latitudes : psychologie évolutionniste, biais cognitifs, et les éclairs de génie de Dan Sperber, Steven Pinker et Jonathan Haidt. L'occasion pour l'auteur, et le lecteur, d'interroger ses propres biais cognitifs.
Le Point : Tout au long de votre livre, vous parlez « des intellectuels ». Qui sont-ils ?
Samuel Fitoussi : Il y a une définition, proposée par le philosophe Étienne Barilier, que j'aime beaucoup : un intellectuel, c'est ce qui reste de Sartre et d'Aron quand on a tout oublié de leurs différences. Sinon, je me range à la définition du penseur libéral conservateur américain Thomas Sowell : un intellectuel est une personne dont le travail commence et finit dans la sphère des idées. L'intellectuel est donc celui qui ne subit pas les conséquences directes de ses erreurs. Contrairement à l'entrepreneur dont l'entreprise peut faire faillite ou au boulanger qui perd ses clients si son pain est mauvais, l'intellectuel peut se tromper sans être sanctionné. C'est lorsque le prix de l'erreur est faible que l'irrationalité trouve un terrain favorable.
Le Point : Vous critiquez surtout les intellectuels de gauche. Pourquoi ?
Par Joseph Le Corre
Le titre est provocateur, mais Samuel Fitoussi ne cherche pas simplement à jouer les trublions. Dans son dernier livre, Pourquoi les intellectuels se trompent (L'Observatoire), il débarque, études scientifiques sous le bras et penseurs de génie en renfort, pour s'attaquer à l'une des plus grandes énigmes de la seconde moitié du XXe siècle : comment des esprits aussi brillants que Sartre ou Foucault – pour ne citer qu'eux, la liste pourrait remplir un bottin – ont-ils pu rester sourds et aveugles aux massacres de l'URSS, de Pol Pot ou de Mao ?
L'essayiste, dont la plume amusée fait régulièrement sourire les lecteurs du Figaro, prend ici la question au sérieux. Pas question de sombrer dans l'anti-élitisme de comptoir : il ne prétend pas que les intellectuels se trompent tout le temps, mais s'interroge : pourquoi, lorsqu'ils se trompent, le font-ils avec une telle maestria ? Pour résoudre cette énigme, il convoque des outils (trop) peu utilisés sous nos latitudes : psychologie évolutionniste, biais cognitifs, et les éclairs de génie de Dan Sperber, Steven Pinker et Jonathan Haidt. L'occasion pour l'auteur, et le lecteur, d'interroger ses propres biais cognitifs.
Le Point : Tout au long de votre livre, vous parlez « des intellectuels ». Qui sont-ils ?
Samuel Fitoussi : Il y a une définition, proposée par le philosophe Étienne Barilier, que j'aime beaucoup : un intellectuel, c'est ce qui reste de Sartre et d'Aron quand on a tout oublié de leurs différences. Sinon, je me range à la définition du penseur libéral conservateur américain Thomas Sowell : un intellectuel est une personne dont le travail commence et finit dans la sphère des idées. L'intellectuel est donc celui qui ne subit pas les conséquences directes de ses erreurs. Contrairement à l'entrepreneur dont l'entreprise peut faire faillite ou au boulanger qui perd ses clients si son pain est mauvais, l'intellectuel peut se tromper sans être sanctionné. C'est lorsque le prix de l'erreur est faible que l'irrationalité trouve un terrain favorable.
Le Point : Vous critiquez surtout les intellectuels de gauche. Pourquoi ?
Samuel Fitoussi : Il y a deux raisons. D'abord, sur la période que je couvre, qui va de 1945 à aujourd'hui, la majorité des intellectuels français étaient de gauche. Ensuite, au cours de ces années, la gauche s'est beaucoup plus trompée que la droite. Les exemples ne manquent pas : la fascination pour l'URSS, par exemple. Comme le rappelle François Furet, il était quasiment impensable dans les années 1970 d'être à la fois de gauche et anticommuniste en France. Ou encore la glorification de Mao : Simone de Beauvoir a écrit un livre de 400 pages à sa gloire, appelant la France à suivre ses politiques, tandis que Le Monde traitait de menteurs ceux qui, comme Simon Leys, faisaient état d'un bilan humanitaire peu reluisant en Chine. Il y a aussi l'aveuglement face à Pol Pot : Libération a salué l'arrivée des Khmers rouges au pouvoir avant de nier longtemps le génocide. Sans oublier la fascination pour Fidel Castro, qui a reçu une visite admirative de Sartre, ou encore le soutien enthousiaste à la révolution iranienne, acclamée par Foucault et Sartre. La liste est longue.
Pourquoi les intellectuels ne paient jamais le prix de leurs erreurs ?
Samuel Fitoussi : «L’intellectuel subit rarement les conséquences de ses erreurs»
Par Alexandre Devecchio, pour Le Figaro Magazine
LE FIGARO -. Votre livre nous invite à nous méfier des intellectuels. Ne craignez-vous pas d’être taxé d’anti-intellectualiste, voire de populiste ?
Samuel FITOUSSI -. Je n’invite pas à la méfiance à l’égard des intellectuels. Au contraire, mon essai est nourri par la pensée d’un certain nombre d’intellectuels, qui ont su résister au conformisme de leur époque et rester animés par le souci de la vérité : Orwell, Aron, Revel, Finkielkraut, et bien d’autres encore. Simplement, je cherche à résoudre une énigme : pourquoi, tout au long du XXe siècle, et encore aujourd’hui, tant d’esprits brillants se sont-ils si facilement laissé séduire par des idées absurdes et destructrices ?
LE FIGARO -. Le peuple ou les masses sont souvent accusés d’être responsables des dérives totalitaires du XXe siècle. Vous montrez cependant que les intellectuels ont été à l’avant-garde des idéologies totalitaires ?
Samuel FITOUSSI -. Oui. Ce sont les égarements de l’intelligentsia, et non ceux de l’homme ordinaire, qui, au XXe siècle, ont tué des dizaines de millions de personnes. En URSS, l’idéologie communiste était soutenue par les cadres et les diplômés bien davantage que par les ouvriers. Au début des années 1930, Hitler suscitait une ferveur toute particulière sur les campus des meilleures universités allemandes, et sa cote de popularité parmi les professeurs dépassait largement celle au sein de la population allemande.
D’ailleurs, à la conférence de Wannsee, la moitié des participants détenait un doctorat. Au Royaume-Uni, Orwell observait que seuls les intellectuels avaient embrassé l’état d’esprit totalitaire, prenant goût à la censure de leurs opposants idéologiques et éprouvant une fascination pour l’autoritarisme. En Italie, les marxistes-léninistes des Brigades rouges, responsables de centaines d’attaques terroristes, étaient pilotés par des étudiants en sociologie. Ce n’est pas parce que l’homme ordinaire ne peut pas se tromper que la démocratie est précieuse, mais parce que l’élite qui prétend décider à sa place le peut encore davantage.
LE FIGARO -. Est-ce encore plus vrai pour les intellectuels de gauche ?
Samuel FITOUSSI -. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le bilan moral de l’intelligentsia de gauche est assez désastreux. Il y eut pendant deux décennies une quasi-unanimité en faveur du plus grand criminel de masse de l’histoire (Mao). « Le maoïsme est un humanisme », écrivait Simone de Beauvoir dans un livre de 400 pages à la gloire du régime. Tandis que Simon Leys tentait d’alerter sur le bilan du maoïsme, il se heurtait aux railleries d’intellectuels comme Roland Barthes (qui révéraient Le Petit Livre rouge) et se faisait traiter de charlatan par Le Monde et Le Nouvel Observateur. « Mao a libéré son peuple socialement et politiquement », écrivait encore Le Monde, en 1974.
LE FIGARO -. Votre livre nous invite à nous méfier des intellectuels. Ne craignez-vous pas d’être taxé d’anti-intellectualiste, voire de populiste ?
Samuel FITOUSSI -. Je n’invite pas à la méfiance à l’égard des intellectuels. Au contraire, mon essai est nourri par la pensée d’un certain nombre d’intellectuels, qui ont su résister au conformisme de leur époque et rester animés par le souci de la vérité : Orwell, Aron, Revel, Finkielkraut, et bien d’autres encore. Simplement, je cherche à résoudre une énigme : pourquoi, tout au long du XXe siècle, et encore aujourd’hui, tant d’esprits brillants se sont-ils si facilement laissé séduire par des idées absurdes et destructrices ?
LE FIGARO -. Le peuple ou les masses sont souvent accusés d’être responsables des dérives totalitaires du XXe siècle. Vous montrez cependant que les intellectuels ont été à l’avant-garde des idéologies totalitaires ?
Samuel FITOUSSI -. Oui. Ce sont les égarements de l’intelligentsia, et non ceux de l’homme ordinaire, qui, au XXe siècle, ont tué des dizaines de millions de personnes. En URSS, l’idéologie communiste était soutenue par les cadres et les diplômés bien davantage que par les ouvriers. Au début des années 1930, Hitler suscitait une ferveur toute particulière sur les campus des meilleures universités allemandes, et sa cote de popularité parmi les professeurs dépassait largement celle au sein de la population allemande.
D’ailleurs, à la conférence de Wannsee, la moitié des participants détenait un doctorat. Au Royaume-Uni, Orwell observait que seuls les intellectuels avaient embrassé l’état d’esprit totalitaire, prenant goût à la censure de leurs opposants idéologiques et éprouvant une fascination pour l’autoritarisme. En Italie, les marxistes-léninistes des Brigades rouges, responsables de centaines d’attaques terroristes, étaient pilotés par des étudiants en sociologie. Ce n’est pas parce que l’homme ordinaire ne peut pas se tromper que la démocratie est précieuse, mais parce que l’élite qui prétend décider à sa place le peut encore davantage.
LE FIGARO -. Est-ce encore plus vrai pour les intellectuels de gauche ?
Samuel FITOUSSI -. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le bilan moral de l’intelligentsia de gauche est assez désastreux. Il y eut pendant deux décennies une quasi-unanimité en faveur du plus grand criminel de masse de l’histoire (Mao). « Le maoïsme est un humanisme », écrivait Simone de Beauvoir dans un livre de 400 pages à la gloire du régime. Tandis que Simon Leys tentait d’alerter sur le bilan du maoïsme, il se heurtait aux railleries d’intellectuels comme Roland Barthes (qui révéraient Le Petit Livre rouge) et se faisait traiter de charlatan par Le Monde et Le Nouvel Observateur. « Mao a libéré son peuple socialement et politiquement », écrivait encore Le Monde, en 1974.
Samuel Fitoussi : «Les intellectuels façonnent l’esprit du temps»
Propos recueillis par Nicolas Pinet
Le JDD. Qu’est-ce qu’un intellectuel ?
Samuel Fitoussi. Un intellectuel est un individu dont le travail commence et finit dans la sphère des idées. Cela signifie que l’intellectuel, souvent, ne subit pas lui-même les conséquences de ses erreurs. Contrairement à l’entrepreneur dont l’entreprise peut faire faillite, ou au pilote d’avion qui joue sa peau en même temps que celle de ses passagers, l’intellectuel peut se tromper sans être sanctionné. Or, c’est lorsque le prix de l’erreur est faible que l’irrationalité trouve un terrain favorable.
Deuxièmement,...
Perversions intellectuelles : une autopsie
Par Anne Lejoly
Samuel Fitoussi est un chroniqueur souvent amusant, bien connu des lecteurs du Figaro, où il propose chaque semaine une chronique satirique et ironique sur l’actualité politique et sociale. Son style se caractérise notamment par l’usage de la fiction et de la parodie pour commenter nos événements contemporains.
Par Anne Lejoly
Samuel Fitoussi est un chroniqueur souvent amusant, bien connu des lecteurs du Figaro, où il propose chaque semaine une chronique satirique et ironique sur l’actualité politique et sociale. Son style se caractérise notamment par l’usage de la fiction et de la parodie pour commenter nos événements contemporains.
Ses sujets de prédilection incluent la politique française, les relations internationales, les débats sociétaux et les médias. Par exemple, il a imaginé dernièrement une lettre ouverte d’un fact-checker en colère après l’annonce de Mark Zuckerberg souhaitant renoncer à la vérification de l’information sur ses réseaux sociaux. Il a également proposé le 9 décembre 2024 un discours imaginaire d’Emmanuel Macron aux Français au lendemain de la censure du gouvernement de Michel Barnier, intitulé « Vous ne me méritez pas ».
Une parole sans conséquence : la spécificité de l’intellectuel
L’un des apports les plus intéressants de son ouvrage réside dans la relecture du rôle de l’intellectuel à travers le prisme de l’économie des idées. En mobilisant Thomas Sowell, Fitoussi rappelle que l’intellectuel n’a pas de « skin in the game » : ses erreurs ne lui coûtent rien, à la différence de l’entrepreneur ou de l’artisan. Cette déconnexion du réel expliquerait la facilité avec laquelle des figures aussi prestigieuses que Sartre, Foucault ou Beauvoir ont pu soutenir des régimes meurtriers. Ces errements idéologiques ne sont pas des accidents, mais des symptômes d’un système d’incitations déséquilibrées. « D’un côté, pour un intellectuel, le prix de l’erreur est faible puisqu’il ne subit pas personnellement les conséquences de ses mauvaises idées. De l’autre côté, le prix à payer s’il énonce une vérité peut être élevé dans le cas où celle-ci ne coïncide pas avec ce que les autres estiment être la vérité. »
Perversions intellectuelles : une autopsie
Critique des clercs de notre ère
Par Julien Damon
Les intellectuels aiment bien se regarder le nombril. Dans la famille des ouvrages consacrés à la tribu, celui de Samuel Fitoussi sort du cadre. Jeune chroniqueur libéral et lettré, à l'ironie habile, l'observateur ne s'étend pas trop sur les égarements. S'il analyse surtout les arguments et les raisonnements, il ne manque tout de même pas de signaler quelques dérives des XXe et XXIe siècles : idolâtrie stalinienne, enthousiasme pour Pol Pot, appréciation de l'islamisme, pacifisme naïf ou bellicisme romantique, wokisme caricatural. L'intellectuel, en particulier à gauche, fasciné par la radicalité révolutionnaire, promeut souvent des idées douteuses et dangereuses.
Féru de psychologie sociale, Fitoussi s'appuie, pour son propos critique, sur son panthéon personnel. Dans lequel on croise nombre de penseurs antitotalitaires : Aron, Boudon, Revel, Hayek, Orwell, mais aussi, toujours vifs, Steven Pinker ou Thomas Sowell (un peu chouchou du livre). Cette charge bien menée décortique, entre autres éléments, le conformisme, le narcissisme et le mimétisme de penseurs, surtout parmi les autoqualifiés de progressistes, tiraillés entre le souci de vérité et celui d'être bien vu de leur clan.
Les intellectuels aiment bien se regarder le nombril. Dans la famille des ouvrages consacrés à la tribu, celui de Samuel Fitoussi sort du cadre. Jeune chroniqueur libéral et lettré, à l'ironie habile, l'observateur ne s'étend pas trop sur les égarements. S'il analyse surtout les arguments et les raisonnements, il ne manque tout de même pas de signaler quelques dérives des XXe et XXIe siècles : idolâtrie stalinienne, enthousiasme pour Pol Pot, appréciation de l'islamisme, pacifisme naïf ou bellicisme romantique, wokisme caricatural. L'intellectuel, en particulier à gauche, fasciné par la radicalité révolutionnaire, promeut souvent des idées douteuses et dangereuses.
Féru de psychologie sociale, Fitoussi s'appuie, pour son propos critique, sur son panthéon personnel. Dans lequel on croise nombre de penseurs antitotalitaires : Aron, Boudon, Revel, Hayek, Orwell, mais aussi, toujours vifs, Steven Pinker ou Thomas Sowell (un peu chouchou du livre). Cette charge bien menée décortique, entre autres éléments, le conformisme, le narcissisme et le mimétisme de penseurs, surtout parmi les autoqualifiés de progressistes, tiraillés entre le souci de vérité et celui d'être bien vu de leur clan.
Critique des clercs de notre ère | Les Echos
La vérité coûte plus cher socialement que l’alignement sur l’idée dominante
La vérité coûte plus cher socialement que l’alignement sur l’idée dominante
Par Abnousse Shalmani
Pourquoi des intellectuels et des artistes aussi brillants que Bertolt Brecht, George Bernard Shaw, Roland Barthes ou Louis Aragon, entre beaucoup (trop) d’autres, se sont-ils gargarisé du sang versé au nom du communisme ? Comment est-il possible qu’à la conférence de Wannsee (celle où fut mise au point l’organisation de la "'solution finale' de la question juive"), plus de la moitié des participants détenaient un doctorat ? Pourquoi plus nous faisons d’études et moins nous sommes capables d’être centristes ? De quels biais naissent nos convictions ? Pourquoi la peur d’être un paria gagne-t-elle toujours sur la vérité ? Pourquoi les intellectuels n’ont-ils rien à perdre en se trompant lourdement ? Pourquoi sommes-nous capables des pires mensonges, des arguments les plus stupides pour défendre "notre camp" ? Comment les idéologies s’auto-alimentent-elles ? Pourquoi les universités d’élite produisent-elles de la crétinerie ? Pour répondre à toutes ces questions et d’autres encore, il faut lire Pourquoi les intellectuels se trompent de Samuel Fitoussi…
Pourquoi des intellectuels et des artistes aussi brillants que Bertolt Brecht, George Bernard Shaw, Roland Barthes ou Louis Aragon, entre beaucoup (trop) d’autres, se sont-ils gargarisé du sang versé au nom du communisme ? Comment est-il possible qu’à la conférence de Wannsee (celle où fut mise au point l’organisation de la "'solution finale' de la question juive"), plus de la moitié des participants détenaient un doctorat ? Pourquoi plus nous faisons d’études et moins nous sommes capables d’être centristes ? De quels biais naissent nos convictions ? Pourquoi la peur d’être un paria gagne-t-elle toujours sur la vérité ? Pourquoi les intellectuels n’ont-ils rien à perdre en se trompant lourdement ? Pourquoi sommes-nous capables des pires mensonges, des arguments les plus stupides pour défendre "notre camp" ? Comment les idéologies s’auto-alimentent-elles ? Pourquoi les universités d’élite produisent-elles de la crétinerie ? Pour répondre à toutes ces questions et d’autres encore, il faut lire Pourquoi les intellectuels se trompent de Samuel Fitoussi…
La vérité coûte plus cher socialement que l’alignement sur l’idée dominante, par Abnousse Shalmani – L'Express
Faut-il se méfier des intellectuels ?
Chronique par Ferghane Azihari
« Le citoyen soviétique possède, à mon avis, une entière liberté de critique », osait dire le grand Jean-Paul Sartre après un voyage dans le pays du goulag dont l'économie serait, selon lui, « d'ici à 1966 de 30 à 40 % supérieur » au niveau de vie français. Consternante défense d'un régime totalitaire qui n'a laissé que la misère derrière lui de la part du penseur qui estimait pourtant que les intellectuels ont pour fonction d'œuvrer à l'édification d'un monde où tous les « hommes seront vraiment libres, égaux et frères ».
Cette définition a l'avantage de poser des critères limpides qui permettent de désigner les clercs qui ont trahi leur mission. De l'apologie du totalitarisme soviétique par Sartre à la célébration de Mao ou des meurtres de Staline par Simone de Beauvoir, en passant par le plaidoyer de Bertrand Russell pour que les Britanniques accueillent les nazis comme des touristes, il n'est pas rare que les esprits les plus brillants et les plus cultivés aient mis leur plume au service des causes les plus effroyables. Comment expliquer cette dissonance ?
Faut-il se méfier des intellectuels ?
Recension du livre
par Thierry Godefridi
L’intelligence ne prémunit pas contre l’erreur ; au contraire, en fait, elle peut y prédisposer. C’est la thèse que Samuel Fitoussi défend dans ce remarquable ouvrage publié le mois dernier aux Editions de l’Observatoire. La seconde moitié du XXe siècle a apporté un témoignage constant du manque de clairvoyance de l’intelligentsia, parisienne notamment, par exemple de Simone de Beauvoir qui eut les yeux de Chimène pour Mao, vit dans sa prépondérance la marque de sa compétence et publia à son retour de Chine un livre de 500 pages à sa gloire. Que La Longue Marche se soldât par 40 à 80 millions de morts et fit de Mao le plus grand criminel de masse de l’histoire n’en était apparemment qu’un « détail » à ses yeux.
« Dans les questions d’intérêt général, observait Gustave Le Bon au siècle précédent, l’opinion des spécialistes de lettres ou de science n’a pas plus de valeur que celle des ignorants, et bien souvent en a beaucoup moins. C’est très souvent du côté de la foule et rarement du côté des spécialistes que se montre […] la défense des intérêts sociaux. » La question est : pourquoi l’« élite intellectuelle » se laisse-t-elle séduire par des idéologies absurdes qui, quand elles n’en restent pas au stade du délire, peuvent s’avérer criminelles ?
La réponse est simple. Nous avons beau supposément vivre à une époque régie par la raison et, pour ce qui est de l’Occident, la démocratie, une chose n’a pas changé au travers des époques : la nature humaine. Pendant des millions d’années, explique le professeur Jonathan Haidt, un spécialiste de la psychologie sociale, dans The Righteous Mind, nos ancêtres ont eu besoin de se faire accepter pour survivre, au sens propre (pensez à Socrate et au sort réservé aux apostats par le passé, parfois même encore aujourd’hui). « Nous avons une si grande idée de l’âme de l’homme, écrivit Pascal, cité par Fitoussi, que nous ne pouvons souffrir d’en être méprisés.
Lire la suite en accès libre sur le site de Thierry : Pourquoi les intellectuels se trompent - PALINGENESIE
Voir aussi : « Pourquoi les intellectuels se trompent », de Samuel Fitoussi, et « Aron critique de Sartre » : d’une tendance à l’égarement chez les intellectuels
L’intelligence ne prémunit pas contre l’erreur ; au contraire, en fait, elle peut y prédisposer. C’est la thèse que Samuel Fitoussi défend dans ce remarquable ouvrage publié le mois dernier aux Editions de l’Observatoire. La seconde moitié du XXe siècle a apporté un témoignage constant du manque de clairvoyance de l’intelligentsia, parisienne notamment, par exemple de Simone de Beauvoir qui eut les yeux de Chimène pour Mao, vit dans sa prépondérance la marque de sa compétence et publia à son retour de Chine un livre de 500 pages à sa gloire. Que La Longue Marche se soldât par 40 à 80 millions de morts et fit de Mao le plus grand criminel de masse de l’histoire n’en était apparemment qu’un « détail » à ses yeux.
« Dans les questions d’intérêt général, observait Gustave Le Bon au siècle précédent, l’opinion des spécialistes de lettres ou de science n’a pas plus de valeur que celle des ignorants, et bien souvent en a beaucoup moins. C’est très souvent du côté de la foule et rarement du côté des spécialistes que se montre […] la défense des intérêts sociaux. » La question est : pourquoi l’« élite intellectuelle » se laisse-t-elle séduire par des idéologies absurdes qui, quand elles n’en restent pas au stade du délire, peuvent s’avérer criminelles ?
La réponse est simple. Nous avons beau supposément vivre à une époque régie par la raison et, pour ce qui est de l’Occident, la démocratie, une chose n’a pas changé au travers des époques : la nature humaine. Pendant des millions d’années, explique le professeur Jonathan Haidt, un spécialiste de la psychologie sociale, dans The Righteous Mind, nos ancêtres ont eu besoin de se faire accepter pour survivre, au sens propre (pensez à Socrate et au sort réservé aux apostats par le passé, parfois même encore aujourd’hui). « Nous avons une si grande idée de l’âme de l’homme, écrivit Pascal, cité par Fitoussi, que nous ne pouvons souffrir d’en être méprisés.
Lire la suite en accès libre sur le site de Thierry : Pourquoi les intellectuels se trompent - PALINGENESIE
Voir aussi : « Pourquoi les intellectuels se trompent », de Samuel Fitoussi, et « Aron critique de Sartre » : d’une tendance à l’égarement chez les intellectuels