La violence, mode d’action politique légitime ? - Par Olivier Vial et Eric Delbecque
Le meurtre de deux Israéliens à Washington par un militant d’extrême gauche anti sioniste s’inscrit dans la montée des violences politiques que nourrissent les gauches radicales en prétendant détenir le monopole de la légitimité morale, que ce soit sur le capitalisme, le conflit israélo palestinien ou le dérèglement climatique. Par Olivier Vial et Eric Delbecque.
Atlantico : L’extrême-gauche a-t-elle un problème avec la violence politique ? Du XIXème siècle aux années 80, divers groupes de plusieurs tendances, anarcho-libertaires ou encore communistes révolutionnaires, se sont illustrés par leurs actions terroriste. On pensera notamment, chez nous en France, à Action Directe. La chute de l’URSS aura apporté une accalmie durant les années 1990, les activistes des milieux universitaires connaissant un relatif déclin. Depuis quelques années, il semblerait que nous assistions à une résurgence et un renouveau. Qu’en dire ? Est-ce le fait du « wokisme » ?
Eric Delbecque : Oui, c’est un fait historique. L’extrême gauche, dans ses expressions les plus radicales, a toujours entretenu un rapport ambivalent avec la violence, qu’elle tend à héroïser, à « glamouriser ». Le XIXe siècle fut marqué par le terrorisme anarchiste, et le XXe siècle vit naître des organisations comme Action Directe en France, les Brigades rouges en Italie, ou la RAF en Allemagne. Ces groupes ont eu recours à la lutte armée, au nom d’une prétendue justice révolutionnaire. Après une accalmie relative post-Guerre froide, nous assistons effectivement aujourd’hui à une résurgence idéologique, portée notamment par des franges insurrectionnelles qui gravitent autour de ZAD, de collectifs d’ultragauche, ou de nébuleuses décolonialistes. Quant au wokisme – compris comme un nouveau langage idéologique structuré autour d’une vision victimaire du monde –, il alimente une radicalité discursive qui peut, dans certains cas, dégénérer en action violente. C’est cette potentialité qu’il convient d’analyser et de prévenir. L’ultragauche et l’extrême gauche ont clairement absorbé la matrice intellectuelle et psychologique wokiste.
Olivier Vial : L’extrême gauche n’a jamais exclu la violence de son arsenal idéologique. En plaçant au cœur de son imaginaire la révolution ou le soulèvement populaire, elle a toujours considéré que la violence constituait une étape nécessaire du processus historique. Elle ne vise pas seulement à contester le pouvoir, mais à le renverser – et parfois physiquement. Plus encore que le « wokisme », c’est le retour de l’antimondialisme à la fin des années 1990 (avec les contre-sommets de Seattle, Gênes, etc.) qui a réintroduit la violence dans l’espace militant, avec l’émergence des premiers black blocs. Depuis, cette dynamique s’est nourrie de trois idéologies puissantes : le décolonialisme, l’écologie radicale, et un anticapitalisme révolutionnaire dopé d’abord par la crise climatique, puis par l’antisionnisme depuis le 7 octobre 2023.
Ces idéologies ont constitué le terreau d’une re-légitimation progressive de la violence, d’abord dirigée contre les biens — sabotages, dégradations, incendies —, désormais de plus en plus orientée contre les personnes. Les agressions d’opposants politiques ou de membres des forces de l’ordre par des groupes antifas en sont les manifestations les plus visibles. Jusqu’à présent, un interdit subsistait : celui de l’homicide, du sang versé. Dans Comment saboter un pipeline ? (2020), Andreas Malm écrit : « on change de registre dès que du sang est versé. Cela pourrait arriver, malencontreusement ou délibérément. Ce n’est pas nécessaire. […] À l’heure où j’écris ces lignes, ce serait une catastrophe pour le mouvement si l’une de ses composantes décidait de recourir au terrorisme. » Ce n’est pas une condamnation morale. C’est un simple constat d’opportunité tactique : verser le sang serait, pour l’instant, contre-productif. Autrement dit, la réserve n’est pas fondée sur un principe intangible, mais sur une évaluation conjoncturelle. Le cas d’Élias Rodriguez — qui a revendiqué le meurtre de deux diplomates israéliens comme un acte « sensé » en réaction au « génocide à Gaza » — montre que ce verrou symbolique est en train de sauter. La violence politique ne se contente plus de frapper des vitrines ou des pylônes. Elle frappe des vies humaines.
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