«Le référendum de Bayrou, un coup politique plus inspiré par House of Cards que par la quête de l’intérêt général» - Par Benjamin Morel

Alors que le premier ministre a proposé un référendum sur la réduction du déficit, le politologue Benjamin Morel met en garde sur le risque d’instrumentalisation de ce type de scrutin. Selon lui, il ne faut pas confondre la voix du peuple et le coup de poker politique.


Peut-on être contre le référendum ? Ce serait s’opposer à la voix du peuple. Rares sont donc les responsables politiques qui osent en être les détracteurs. Pourtant, la France semble réticente à son usage. Les dirigeants l’ont souvent jugé dangereux en lui-même, car susceptible de produire des résultats imprévus qu’ils se croient ensuite contraints d’annuler. Lorsqu’en 2008, le référendum d’initiative partagée a été institué, les conditions fixées visaient sciemment à empêcher qu’une telle procédure aboutisse. On cite souvent le référendum de 2005, dont le résultat a été ignoré. Mais ce n’est pas un cas isolé : les Corses ont voté contre une collectivité unique en 2003, tout comme les Alsaciens en 2013. Pourtant, ces collectivités ont été créées quelques années plus tard. Les habitants de Loire-Atlantique ont approuvé la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes… mais ce projet n’a jamais vu le jour.


Ainsi, lorsque le chef de l’État évoque une consultation, et que son entourage parle de référendum, les cœurs démocrates s’emballent. Quand le premier ministre imagine soumettre à référendum le projet de loi de finances, le pays semble baigner dans une atmosphère de démocratie athénienne. Pourtant, cette soudaine euphorie à l’égard d’un outil naguère décrié procède d’une même logique discutable : on en vient à espérer ou à redouter l’instrument lui-même, sans s’interroger sur son objet. Le référendum n’est qu’un moyen, un outil entre les mains du président. En sa qualité d’arbitre et de garant de la Constitution, il doit pouvoir consulter le peuple sur des sujets fondamentaux en cas de blocage politique. À cet égard, le référendum aurait été un instrument très pertinent dans le cadre de la réforme des retraites, lorsqu’il s’agissait d’arbitrer entre les arguments du gouvernement et ceux d’une majorité de députés.

Aujourd’hui, toutefois, le débat ne se pose pas en ces termes. À l’Élysée, il y a quelques mois, on envisageait de faire des référendums avant même de savoir sur quoi ils devraient porter. C’est confondre moyens et fins. À Matignon aujourd’hui, envisager un référendum budgétaire en période d’austérité, dans le but de faire pression sur l’opposition et sur sa propre majorité, relève d’un jeu politicien dont on prend les Français à témoin. Dans les deux cas, il s’agit d’un coup politique pour se recentrer dans le jeu, bien loin du rôle de gardien de l’intérêt général qui justifie le pouvoir propre du président en vertu de l’article 11.

Or, trois risques majeurs apparaissent à l’idée de convoquer un tel référendum. Le premier est celui de la déception. Soumettre un texte budgétaire contraint aux urnes reviendrait à mobiliser l’opinion pour, finalement, aboutir à un projet à peine modifié. Cela renforcerait le sentiment d’impuissance démocratique et ouvrirait un boulevard à la radicalité. Il n’est même pas certain d’ailleurs que la chose soit possible, et il s’agirait alors avant tout d’un coup de communication qui pourrait donner encore plus le sentiment aux Français que l’on joue avec eux. Certains réclament par ailleurs un référendum sur l’immigration. Qu’on y soit favorable ou non, l’article 11 exclut les matières pénale et civile, et la jurisprudence du Conseil constitutionnel réduit considérablement les marges sur les autres aspects. Le référendum ne porterait donc que sur des points mineurs. Il en irait de même sur la fin de vie. On risquerait ainsi, au mieux, une abstention massive renforçant l’idée d’un outil inutile, et au pire, un retournement plébiscitaire. Dans les deux cas, des référendums, qu’ils aient lieu ou soient empêchés, souligneraient surtout la faiblesse du politique sur les sujets concernés.

Le deuxième risque est celui de l’emballement institutionnel. Dans un contexte de blocage et d’impopularité, une partie de l’opposition — voire de la majorité — pourrait se mobiliser contre l’exécutif. Une nouvelle motion de censure en plein débat budgétaire, voire une dissolution ou une crise présidentielle, pourrait aggraver l’instabilité politique. Le danger plébiscitaire est renforcé par le fait qu’un référendum ne pourrait porter que sur des objets restreints ou sur un budget dans lequel chacun trouverait matière à mécontentement. Dans un tel contexte, l’opposition pourrait détourner l’objet du vote en un appel à la démission. Quant au budget, il cristallise par définition les choix politiques : pourquoi une majorité de Français y adhérerait-elle soudainement, alors qu’un sondage Odoxa pour Le Figaro révèle que 78 % souhaitent une rupture avec les politiques menées ?

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Le troisième risque, le plus structurel, est celui d’aggraver l’instabilité. La coalition sur laquelle s’appuie François Bayrou est hétéroclite et traversée d’intérêts contradictoires. Imagine-t-on une campagne référendaire sur un budget à quelques mois des municipales, où LR et le PS ont tant à perdre ? Et que se passerait-il en cas de non ? Le budget porté par François Bayrou n’est qu’une version amendée de celui proposé par Michel Barnier. Si le rejet traduit un refus de l’austérité, comment choisir entre le déni démocratique que représenterait le passage en force et la panique des marchés induite par l’incertitude ? Face aux risques de rejet sur des sujets isolés, l’Élysée évoque une solution miracle : poser plusieurs questions le même jour. En temps normal, pourquoi pas. Mais imaginons un scrutin unique sur la proportionnelle (où LR joue sa survie), sur la suppression de l’AME (où le PS joue sa crédibilité à gauche) et sur la fin de vie (mobilisant le centre droit). Chaque camp donnerait des gages à ses électeurs, malmenant un exécutif déjà fragile — petit rafiot emporté par la houle de la polarisation.

Alors que le pays n’a jamais été aussi instable depuis 1962, faire du référendum un coup politique semble plus inspiré par House of Cards ou Baron Noir que par la recherche de l’intérêt général. S’il n’est qu’un coup de communication sans lendemain, alors c’est là encore plus fragiliser le lien qui unit à la politique des Français en mal d’expression. Si se repositionner au centre du jeu est une fin en soi, il faut rappeler que la mission du président est de protéger les institutions. Celle du premier ministre est de conduire la politique de la nation dans l’intérêt général. Ces fonctions sont parmi les plus nobles de la République. Bien remplies, elles suffisent à légitimer ceux qui les occupent, bien plus sûrement que n’importe quel coup de poker.

«Le référendum de Bayrou, un coup politique plus inspiré par House of Cards que par la quête de l’intérêt général»