Pascal Bruckner : Le rire et la moquerie peuvent suffire face aux guérilleros de la justice sociale, pas face à la menace islamiste


Atlantico : En 1983, vous aviez prêté l’oreille aux sanglots de l’homme blanc, dans un bel essai qui a fait date et qui diagnostiquait, dans une lucidité mélancolique, le sentiment de repentance de l’Occident, le principe de culpabilité qui s’était instauré dans notre rapport au passé et à l’héritage des générations, et l’apparition d’une philosophie tiers-mondiste qui préfigurait l’actuelle pensée décoloniale. Hier l’homme blanc, aujourd’hui le white male. Qu’est-ce qui a changé ? Est-ce encore le même personnage sur le banc des accusés ?

Pascal Bruckner :
Ce qui a changé d’abord, c’est la langue. On exprime désormais nos concepts politiques en frenglish, le nouveau patois globalisé des mercenaires idéologiques d’une certaine Amérique. Mais surtout, on ne s’intéresse plus aux structures politiques ou économiques, on en revient à l’épiderme qui définit à lui seul les qualités ou les défauts d’une personne. Tout cela a un petit parfum très années 30 avec toutefois cette inversion intéressante : c’est l’homme blanc qui est tout en bas de la hiérarchie et les autres ethnies qui se trouvent au sommet. On ne change pas de système, on se contente d’intervertir les personnages. C’est fou ce que l’antiracisme actuel emprunte tantôt ses structures à la pensée coloniale en la renversant tantôt au fascisme de l’avant- guerre en reprenant intégralement ses concepts : en lisant certains théoriciens nord-américains ou décoloniaux français, je repense aux décrets du national-socialisme. Par exemple, lors des manifestations en faveur d’Adama Traoré,des manifestants ont insulté des policiers noirs ou antillais, en les traitant de vendus, de traîtres à leur race. Or ce concept de traître à la race est directement issu des lois de Nuremberg où un aryen qui couchait avec une juive était coupable d’avoir trahi sa race. Il y a un racisme d’extrême droite mais aussi un racisme d’extrême gauche.

Dans votre nouvel essai Un coupable presque parfait, la construction du bouc émissaire blanc, on trouve un court chapitre appelé « Purger les arts, édifier les foules ». Nous connaissons ce vocabulaire totalitaire (purgation, édification, dressage, formatage). A partir de quand, selon vous, des idéaux intellectuels (droits de l’homme, dignité des minorités, antiracisme, rêve d’égalité et de justice) ont-ils muté en idéologie menaçante ?

Toutes nos conquêtes peuvent à un moment se retourner contre nous et l’instrument de l’émancipation se retourner en instrument d’oppression. La pensée révolutionnaire, marxiste ou politiquement correcte, a ceci de particulier qu’elle ne tolère ni l’ambiguïté ni la complexité. Elle suit la logique aveugle de son idée. Cette approche se révèle désastreuse pour les œuvres d’art qui sont par excellence rétives à l’embrigadement et par nature atemporelles, ni de droite ni de gauche. Il faut alors rectifier, censurer, couper, « déconstruire ». En 2019 les poésies de Ronsard à l’université étaient accusée de favoriser la culture du viol et Fragonard dénoncé par les cuistres d’être un peintre de la prédation sexuelle. L’échec du communisme le prouve : l’idéal de l’émancipation a tourné au cauchemar totalitaire. Tous les idéaux que nous chérissons peuvent à leur tour se transformer en mots d’ordre coercitifs. C’est la très mauvaise surprise de la modernité.

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