François Sureau : « La parole réaliste qui pourrait nous rassembler est absente »



Ancien membre du Conseil d’État, aujourd’hui avocat à Paris, François Sureau est un écrivain aux curiosités et aux interventions sans nombre. Il a publié des romans (L’Infortune, Gallimard, 1990, Grand prix du roman de l’Académie française), des récits et même des recueils de poésie où se laisse entendre l’influence conjointe de Guillaume Apollinaire et de Blaise Cendrars, deux maîtres d’intranquillité.

Les activités variées de cet esprit libre qui a même servi en qualité de réserviste opérationnel au sein de la Légion étrangère lui ont offert la possibilité de se promener dans l’envers de l’histoire contemporaine et d’en être un témoin capital, avec un mélange d’engagement et de détachement. Dans L’Or du temps, un livre total accompagné d’un solide index des noms propres, il descend la Seine au fil de l’eau, comme Rimbaud les « fleuves impassibles », pour redire la nécessité du rêve et la nature intimement littéraire d’une France dont il ne lui déplaît pas de caresser le doux visage, même quand celui-ci paraît défiguré. Nous l’avons interrogé afin de nous aider à comprendre quelles pièces manquent aujourd’hui au puzzle pour que l’image soit complète.

« Revue des Deux Mondes – Dans Sans la liberté, le livre que vous avez publié suite au mouvement des « gilets jaunes », et dans les manières de « considérations sur la France » que vous faites paraître sous le titre « L’Or du temps », vous posez finalement une seule et même question : « Qu’est-ce qui nous manque ? » Car chacun sent bien que notre présent se déroule sur le mode du manque. Nous sommes le 5 juin 2020, à la veille d’un anniversaire qui nous est cher, celui du débarquement en Normandie. Ce jour-là, des centaines de jeunes hommes, qui n’auraient jamais de femme, jamais d’enfant, jamais de voiture, jamais de maison, jamais de compte en banque à surveiller, sont tombés pour la liberté. Mais a-t-il manqué quelque chose à leur vie pour qu’elle fût bonne ? Et nous autres, incapables d’un tel sacrifice, qu’est-ce qui nous manque ?


François Sureau
C’est bien là toute la question. Il y a quelque chose qui nous manque de manière évidente, c’est de savoir que quelque chose nous manque. Ce que j’observe depuis une vingtaine d’années, ce sont des individus et des peuples qui ne laissent pas creuser en eux-mêmes le sentiment du manque et qui d’une certaine manière remplissent le vide qui est toujours là – le vide décrit par Augustin dans Les Confessions lorsqu’il écrit : « Tu nous as faits pour toi, élan vers toi, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi. » Mais ils remplissent ce vide, avant même d’avoir eu conscience que ce vide existait. Ainsi poursuivent-ils toutes sortes d’objets: les objets de la civilisation matérielle, les objets du pouvoir, les objets de l’argent et même d’autres objets, des idoles auxquelles on peut être sensible. Par exemple les objets de l’enracinement patriotique ou les objets de la dévotion cléricale. Tous sortes d’objets. Ça m’a toujours frappé chez Huysmans, par exemple, qui me paraît typique de quelqu’un qui remplissait le vide avant même d’avoir eu conscience que le vide existait.


« L’histoire de France est traversée depuis 1789 par une coupure ontologique et il est extrêmement difficile, sauf pour les grandes intelligences syncrétiques comme celle de De Gaulle, de réconcilier la France d’avant et la France d’après. » 


L’une des personnes qui a le mieux vu cela, pour lui reprocher sous ce rapport son absence de christianisme, c’est Léon Blum, dans un texte magnifique publié sur L’Oblat où il explique que l’intérêt du christianisme tient d’abord à une dépossession, et que le premier acte de cette dépossession est de se rendre compte qu’il existe un vide, et que Huysmans semble l’ignorer et remplit ce vide par tout un bric-à-brac. Dans L’Oblat, pour ne pas laisser venir au jour ce qu’il lui manque, il le remplit par deux choses, une grande et une petite. La grande, c’est la beauté des cérémonies liturgiques, dont je me suis toujours méfié puisqu’elles aussi peuvent remplir un vide avant même que nous en ayons eu conscience, ce qui est extrêmement dangereux pour le perfectionnement individuel. Et la petite, plus prosaïque, c’est la tartine de Melle de Garembois, qui est un autre signe de quoi on peut se remplir avant même d’avoir eu faim.

Revue des Deux Mondes – Dans Je ne pense plus voyager, le livre que vous avez consacré à Charles de Foucauld, vous détaillez la possibilité d’une confiance en une destinée personnelle irréductible à la réussite immédiate. Dans Inigo, votre portrait d’Ignace de Loyola, vous évoquez cette confiance d’une autre manière. Cette confiance est-elle un autre de nos manques ?

François Sureau Inigo, sa destinée se fonde sur l’échec d’une ambition. Et Foucauld, plus encore, sur l’échec même d’une vie religieuse : il n’a obtenu aucune conversion, sa mort a semblé absurde. Cette espèce de puissance de l’échec, il faut y songer pour mesurer à quel point une confiance puissante qui ne serait pas simplement une vague confiance en l’avenir nous manque. À propos de ce qui nous manque, une troisième chose me vient à l’esprit, elle fait le lien avec votre évocation du Débarquement. Quand on prend les hommes de la génération du 6 juin 1944, ce qui m’a frappé, en découvrant naguère le documentaire de Roger Stéphane et Daniel Rondeau intitulé « Des hommes libres », c’est que chacun de ces résistants parlait d’une France qui lui était propre.

Ça n’était pas la même pour Robert Galley, pour Roger Barberot, pour Pierre Messmer, pour l’amiral Patou ou pour Honoré d’Estienne d’Orves, qui ne pouvait pas témoigner puisqu’il était mort, mais dont parlaient ses camarades. Il y avait une France socialiste pour les uns, et pour les autres une France militaire, une France radicale, une France laïque, une France chrétienne… Toutes sortes de France qui finissaient par être unies par quelque chose de mystérieux que je ne saurais pas définir. Car ce qui unissait alors toutes ces France ne peut pas être réduit à l’amour de la langue, à la littérature, à la civilisation, à un droit ou à une religion. D’autant que l’histoire de France est quand même traversée depuis 1789 par une sorte de coupure ontologique et qu’il est extrêmement difficile, sauf pour les grandes intelligences syncrétiques comme celle de De Gaulle, de réconcilier la France d’avant et la France d’après. Cette union mystérieuse de toutes les France ne cesse de me hanter. L’Or du temps tente en partie de la déchiffrer [...] > LIRE LA SUITE

PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN LAPAQUE
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