Liberté individuelle et indépendance nationale
La pandémie du coronavirus fait prendre
conscience aux Français de la dépendance de leur pays dans de nombreux
secteurs. La « mondialisation heureuse » n’était, jusqu’à présent, remise en
question que pour des raisons de réchauffement climatique.
Depuis des années, les entreprises
délocalisaient pour rester compétitives et maintenir leurs profits. Mais depuis
quelques semaines, elles prennent conscience des risques d’une trop grande
dépendance de l’étranger.
Dans la même logique, les Français, dits
individualistes, pressent le gouvernement de donner des directives pour les
rassurer, les protéger et anticiper les risques à venir. Ils découvrent que
l’homme, seul, ne peut rien. La liberté individuelle ne peut exister qu’au sein
d’une communauté organisée et puissante, c'est-à-dire soudée.
La Nation et les Français
Deux millions de Français vivent hors de
l’Hexagone sans parler des touristes qui partent en vacances à l’étranger. Nous
avons tous en mémoire ces deux compatriotes « en vadrouille » au Bénin pour la
liberté desquels deux membres des forces spéciales sont récemment morts. De
nombreuses interventions militaires ont été lancées en Afrique pour « extraire
» des Français menacés. L’exemple le plus emblématique reste l’opération Léopard sur Kolwezi, en
1978, qui a permis de sauver près de 2 000 Européens et plusieurs centaines
d’Africains pris en otage et dont le massacre avait commencé. Ces « miraculés »
ont mesuré très concrètement ce que représentait la France.
Aujourd’hui, notre pays a rapatrié
plusieurs centaines de ses ressortissants vivant en Chine. Ils ont été
accueillis et ont bénéficié d’un suivi médical bien supérieur à celui dont ils
auraient pu bénéficier dans les « hôpitaux 10 jours » de Wuhan. Ainsi, quand
nos expatriés sont en danger, ils mesurent très vite la chance qu’ils ont
d’être les ressortissants d’un pays indépendant et puissant qui accepte de
risquer la vie de ses soldats et de ses médecins pour les sauver.
L’État et les entreprises
Cette crise du coronavirus illustre
aussi notre dépendance à l’égard de nombre de produits stratégiques. Elle nous
a ainsi révélé que plus de 80 % des molécules importantes nécessaires à
l’industrie pharmaceutique conçues en Occident et, en particulier en France,
sont fabriquées en Chine et en Inde.
Dans le domaine militaire, cette
dépendance technologique est d’autant plus inquiétante qu’elle est de nature à
remettre en question les capacités de dissuasion et d’action de nos systèmes
d’armes les plus puissants. Nous connaissions déjà celle vis-à-vis des
États-Unis pour le maintien en condition des catapultes du porte-avions Charles de Gaulle, pour le
recueil des renseignements au Sahel à partir des drones Reaper, qui nous
appartiennent mais dont la mise en œuvre complète nous échappe, et aussi,
depuis la vente d’Alstom
Énergie, pour les turbines des réacteurs des sous-marins à
propulsion nucléaire, qu’ils soient lanceurs d’engins ou d’attaque ! Chaque
jour, dans ce domaine, des pépites françaises sont menacées de rachat
conduisant notre pays à risquer de perdre la maîtrise de la chaîne de
production d’équipements de haute technologie, au point d’être vulnérable aux
chantages et embargos, ou interdit d’exportation de matériels y compris par des
pays alliés.
Notons que, déjà, toutes les armes
individuelles de nos soldats - fusils d’assaut et de précision, pistolets -
sont d’origine étrangère : allemande, belge et autrichienne. Aussi nos armées
doivent reconstituer leurs capacités et notre industrie doit renforcer la
maîtrise de la fabrication de nos armes. Cela concerne en priorité les
matériels majeurs : sous-marins et frégates, avions de chasse et drones,
missiles et blindés avec leurs milliers de sous-ensembles et de composants,
sans oublier les nombreux moyens de renseignement et de transmission.
Fragilités et cohésion
Nos sociétés sont devenues plus fragiles
et présentent des vulnérabilités accrues en raison de l’urbanisation. Ces
concentrations humaines, devenues les poumons économiques des nations, sont très
dépendantes des réseaux d’eau, d’énergie, de transport, faciles à neutraliser.
De plus, les points d’entrée sur le territoire sont nombreux. Outre les
frontières terrestres et maritimes, ce sont les ports et aéroports dont le
volume de trafic ne cesse de croître.
Des mouvements de relocalisation
d’usines s’opèrent car le coût de la main-d’œuvre comme celui du transport
(générateur de carbone taxable) augmentent vite dans les pays en développement
et l’impératif de réactivité et de qualité rend la sous-traitance moins
attrayante dans certains secteurs. Il faut aller au-delà et retrouver la notion
de communauté nationale fondée sur une prise de conscience d’un bien commun
supérieur. La liberté individuelle n’est pas l’individualisme. La solidarité
dans l’épreuve ne peut s’exercer qu’au profit de ceux qui acceptent de partager
et servir la communauté à laquelle ils veulent appartenir. Elle seule est en
mesure de leur procurer la sécurité et la protection.
Face à cette situation, la France veut-elle recouvrer son
indépendance ?
Cela n’exclut pas les coopérations en
priorité avec des pays européens. Le système satellitaire Galileo, réalisé à 27,
qu’aucun pays n’aurait pu développer seul, permet au contraire à chacun d’entre
eux de n’être plus dépendant du seul système GPS
américain. Pour la France il est urgent de préserver et développer
son excellence technologique, dans les grands projets européens
particulièrement en matière de défense et dans le numérique. L’enjeu est le
renforcement de notre autonomie stratégique tout en favorisant celle de
l’Europe. Pour nos concitoyens, il convient de privilégier l’achat de produits
conçus et fabriqués en France sous réserve qu’ils soient au meilleur niveau.
Cela représente un coût, mais c’est le
prix de notre souveraineté. Comme le rappelle Jacqueline de Romilly à propos
des Grecs : « Être libre,
était avant tout appartenir à une cité libre, c'est-à-dire indépendante»
(extrait de La Grèce antique
à la découverte de la liberté. Coll. Bouquins 2019).
LA RÉDACTION de l’ASAF