Lyon 2, ou l’enjeu crucial de la liberté pour les universités - Par Christophe de Voogd
Le harcèlement dont est victime le géopolitologue de Lyon 2, Fabrice Ballanche, est une nouvelle illustration du climat d’intolérance régnant dans plusieurs universités françaises, particulièrement dans les sciences humaines et sociales.
Dans la grande guerre culturelle qui oppose aujourd’hui néo-conservateurs et néo- progressistes, entre lesquels les libéraux semblent pris en étau, l’enseignement supérieur occupe une place centrale, à la fois comme terrain privilégié d’affrontement et comme enjeu décisif des politiques publiques : n’est-ce pas en son sein que s’élaborent les nouveaux savoirs et que se forment les cadres de la société de demain ?
On comprend donc l’intensité fiévreuse du débat sur la situation des campus américains comme des universités françaises : en ce moment même, là-bas le bras de fer entre l’administration Trump et Harvard, ici la polémique autour du géopolitologue Fabrice Ballanche de Lyon 2.
Gare aux amalgames
Cette simultanéité ne doit pas pour autant conduire à confondre les situations comme le fait une extrême gauche voyant partout la main de « l’extrême droite »; ou à renvoyer les protagonistes dos à dos ; ou encore à minimiser, voire excuser, les excès d’un camp en soulignant les abus de l’autre ; voire à utiliser la situation américaine pour argumenter dans le contexte français. Ce dernier procédé, on le sait, a joué à plein sur les sujets du racisme et de l’avortement. Comme nous l’avons déjà fait remarquer dans un autre article, le piège est tendu à tous ceux, notamment libéraux, qui s’inquièteraient des dérives universitaires : se voir aussitôt accusés de trumpisme inavoué…
Pour éviter confusions et amalgames, une perspective vraiment libérale doit d’abord faire droit aux principes régissant les universités : en l’occurrence les libertés académiques qui couvrent à la fois les libertés d’enseignement, de recherche et d’organisation ; et la liberté d’expression aussi bien des enseignants que des étudiants. Le cadre légal et jurisprudentiel de l’exercice de ces libertés est d’ailleurs très développé dans les deux pays – il s’accompagne en France du principe de neutralité du service public – et devrait être la référence première du débat.
Inversion victimaire à Lyon 2
Les événements de Lyon 2 auraient dès lors dû susciter une réprobation immédiate et unanime des activistes qui ont bafoué les règles de droit et les usages académiques : en imposant la célébration de la rupture du jeûne (iftar) dans l’enceinte universitaire, ce qui a d’ailleurs été à l’origine du différend avec l’enseignant et constitue une violation flagrante de la neutralité du service public ; en harcelant Fabrice Ballanche sur les réseaux sociaux, pour ses positions réelles ou supposées (diffamation et incitation à la haine) ; en interrompant violemment son cours (voie de fait) ; en demandant son interdiction professionnelle (atteinte à la liberté académique). Si la condamnation de tels procédés a été unanime chez les collègues de son UFR, elle a été bien plus tardive et surtout bien plus floue de la part de la présidente de l’université, qui a même mis en cause l’enseignant. Les ministres de tutelle ont bien apporté leur soutien à ce dernier, mais ils en sont restés aux déclarations de principe et France universités (qui rassemble les chefs d’établissement) a en revanche apporté son appui sans réserve à la présidence de Lyon 2, portant là encore le soupçon sur l’enseignant lui-même.
Ces événements ne peuvent que susciter l’inquiétude. Les accusations de « racisme », de soutien au « sionisme » et surtout « d’islamophobie », le déchaînement des réseaux sociaux et le soutien pour le moins incertain de la hiérarchie, plus prompte à se retourner contre un de ses agents que contre les vrais fauteurs de troubles, constituent un cocktail empoisonné où l’on retrouve bien des ingrédients de l’affaire Samuel Paty, surtout dans le contexte de l’après 7 octobre 2023. L’apparente complaisance du vice-président de l’université pour la mouvance de l’Islam radical – il est l’auteur d’un éloge funèbre du défunt chef du Hezbollah posté sur Facebook – ajoute une ombre de plus au tableau. Le climat délétère autour de cette affaire vient encore de s’aggraver avec l’annonce de menaces de mort contre la présidente de Lyon 2 qui doivent être tout aussi sévèrement condamnées.
Le sujet occulté : le pluralisme politique et intellectuel au sein des universités
Tout cela mériterait pour le moins une enquête approfondie (d’une commission parlementaire par exemple) sur le fonctionnement de nos universités. D’autant qu’il y a un autre enjeu, décisif aux yeux de tout libéral : celui du pluralisme de l’enseignement et de la recherche, comme de la vie quotidienne des campus. Les politiques de recrutement, de promotion et de subvention sont donc de première importance : à quelles associations, par exemple, vont les crédits – considérables – affectés à cette « vie étudiante » et directement prélevés sur les frais d’inscription ? Une étude d’un universitaire, Xavier-Laurent Salvador, est en cours sur ce sujet, qui pourrait bien apporter d’utiles informations.
Aussi farouchement niée qu’ abondamment documentée[1] – tout comme le wokisme et l’islamogauchisme, purs « fantasmes » selon les présidents d’université – la domination écrasante de la gauche, et celle, croissante, de l’extrême gauche dans le monde académique depuis une trentaine d’années introduisent un biais politique majeur dans la gouvernance des universités. Le processus est le même en France et aux Etats-Unis, comme dans tout l’Occident. Se pourrait-il que la « diversité » la plus précieuse dans une enceinte de savoir et d’enseignement, c’est-à-dire celle des opinions, y soit aussi le plus mise à mal ? A moins que « la liberté académique » dont se réclame unanimement le discours universitaire ne soit valide que dans l’espace qui va de la gauche à l’extrême-gauche ?
[1] Voir les statistiques dans :
N. Gross, Why Are professors liberal and Why Do conservatives care? Cambridge, Harvard University Press, 2013;
Time Higher Education, « Almost half of sector backs Labour, THE election poll suggests » , 2015;
Times Higher Education, N. Carl, Lackademia : Why do academics lean left ? Adam Smith Institute, 2017;
A. François et R. Magni-Berton, Que pensent les penseurs ? Grenoble, 2015;
S. Fitoussi, Pourquoi les intellectuels se trompent, Paris, 2025.