Alain Bentolila : «Jean-Luc Mélenchon a autant de mépris pour la langue française que pour les langues créoles»
Lors d’un colloque sur la francophonie, Jean-Luc Mélenchon a affirmé que le français devrait être considéré comme une langue créole, fruit d’un mélange complexe, et qu’il ne serait plus la «propriété» exclusive des Français. Pour le linguiste, ces propos révèlent une ignorance de ce que sont les créoles et de l’histoire de notre langue.
Alain Bentolila a été directeur du département d’études créoles du CNRS. Auteur du Dictionnaire élémentaire du créole-haïtien (1976), il publiera en septembre prochain un livre sur l’école : Parents, instits, même combat (Éditions Istya).
S’il est un concept que Jean-Luc Mélenchon déteste par-dessus tout, c’est celui d’assimilation et d’intégration. Que des citoyens parlent ensemble, pensent ensemble, analysent ensemble dans une totale liberté de point de vue, dans une singularité de convictions lui est parfaitement insupportable. Qu’ils se contentent donc de marcher ensemble en beuglant des slogans ! qu’ils écoutent, béats, leur chef débiter des discours interminables ponctués de quelques imparfaits du subjonctif qui marquent bien sa haute maîtrise de la langue qu’il honnit ! Mais surtout, qu’ils ne se mêlent pas de penser par eux-mêmes, qu’ils ne se mêlent pas de mettre en mots une pensée originale. Comme tous les populistes autocrates, Jean-Luc Mélenchon veut que ses affidés marquent leur « insoumission » non pas en parlant et en pensant par eux-mêmes mais en s’inclinant devant une langue à laquelle ils n’ont pas accès et en reproduisant une pensée qui leur est imposée.
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Certes, la langue française est constituée d’apports différents ; comme toutes les langues elle a absorbé et harmonieusement intégré des mots de diverses origines, mais - et c’est cela qui importe - elle n’a jamais perdu son intégrité, sa cohérence et son pouvoir de porter la pensée de ceux qui la parlent et la chérissent ; elle à su ainsi dans son développement assurer l’autonomie de pensée de chacun. La langue française n’est pas un agglomérat de mots et structures diverses ; elle accepte des différences, cultive des originalités mais prend un soin jaloux à ne jamais laisser ses singularités mettre en péril sa mission de rassemblement. Faire de la langue française une langue créole témoigne une ignorance crasse de ce que sont les créoles mais c’est aussi refuser de considérer l’histoire de notre langue, longuement forgée par son peuple et portée par la volonté de la cohérence nationale. La langue française s’est vouée de tout temps à la résistance aux mensonges et aux manipulations de ceux qui, comme Jean-Luc Mélenchon, pensent pouvoir penser pour et à la place du peuple. Car à la faiblesse d’un langage dispersé, correspond une pensée affaiblie prompte à s’enrôler derrière n’importe quel beau parleur.
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Jean-Luc Mélenchon devrait se battre pour que tous les enfants de ce pays maîtrisent une langue forte, qui porte avec précision et bienveillance leur pensée.