« La langue française ne va pas vers les individus, ce sont eux qui viennent à elle » Par Sami Biasoni

Faut-il rebaptiser le français en créole ? Si vous avez manqué la dernière polémique provoquée par Jean-Luc Mélenchon, alors il faut lire l'interview de Sami Biasoni, essayiste et spécialiste de la langue française. Rembobinons. Selon le leader de la France insoumise, « la langue française n’appartient plus à la France depuis fort longtemps ». Cela le conduit à proposer que le français devienne « une langue créole », afin qu’il puisse devenir une « langue commune » à l’ensemble de la francophonie. Sami Biasoni considère que Jean-Luc Mélenchon défend ici une vision multiculturaliste, déconstructiviste et décoloniale de la société.


Un petit forum passé presque inaperçu, avant qu'une polémique n'éclate une semaine plus tard. Jean-Luc Mélenchon, la figure tutélaire de La France insoumise, était invité par le député Aurélien Taché (LFI) à prendre part à un colloque organisé le 18 juin à l'Assemblée nationale. Le triple candidat à la présidentielle, qui pourrait rempiler pour une quatrième tentative, en a profité pour développer sa propre vision de la francophonie.

Selon lui, « la langue française n'appartient plus à la France depuis fort longtemps ». Cela le conduit à proposer que le français devienne « une langue créole », afin qu'il puisse devenir une « langue commune » à l'ensemble de la francophonie. Sans surprise, ces propos ont provoqué de vives réactions et suscité de nombreux commentaires.

Dans un entretien, l'essayiste Sami Biasoni, décortique cette nouvelle sortie hasardeuse de l'Insoumis. Le spécialiste, qui a dirigé l'ouvrage collectif Malaise dans la langue française (2022, éditions du Cerf) et qui s'apprête à publier L'Encyclopédie des euphémismes contemporains (11 septembre, éditions du Cerf) considère que Jean-Luc Mélenchon défend une vision multiculturaliste, déconstructiviste et décoloniale de la société.

Le Point : Pourquoi Jean-Luc Mélenchon dit-il que la langue française « n'appartient plus à la France » ?

Pour deux raisons, me semble-t-il. La première est interne à la langue française, qui s'est constituée par emprunts, ajouts et remplacements successifs. La deuxième raison est externe. Le français compte près de 250 millions de locuteurs quotidiens dans le monde, soit bien plus qu'il n'y a de locuteurs français sur le territoire national. Et si l'on s'intéresse à la France, de nombreux locuteurs viennent eux-mêmes de l'étranger. Le français, comme la plupart des grandes langues est donc bien marqué par un brassage culturel presque constitutif. En ce sens, il est acceptable de souligner son caractère exogène, partagé et ouvert.

Les deux raisons que je viens d'indiquer sont factuellement établies. En revanche, considérer que le français « n'appartient plus à la France » relève d'une vision politique. Le leader de LFI estime que la langue française n'est pas le bien des Français « historiques », d'une nation, mais finalement un fait culturel mouvant, qui ne fonde plus une identité. Il s'agit d'une erreur, voire d'une faute : la langue est le premier et le dernier bastion de l'identité.

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