Dix leçons géopolitiques de la guerre d’Ukraine - Par Olivier Kempf
Est-il déjà trop tôt pour tirer un bilan de la guerre d’Ukraine ? À l’heure d’écrire ces lignes (fin mars 2025), personne ne sait si un accord sera trouvé entre MM. Poutine et Trump pour mettre fin au conflit. Il est très probable que les combats auront encore lieu, pour plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Rien ne dit qu’ils auront même cessé fin 2025. Tirer des leçons paraît donc bien précoce. Par Olivier Kempf.
Article paru dans le N°57 de Conflits.Le général (2S) Olivier Kempf est docteur en science politique et chercheur associé à la FRS. Il est directeur associé du cabinet stratégique La Vigie. Il travaille notamment sur les questions de sécurité en Europe et en Afrique du Nord et sur les questions de stratégie cyber et digitale.
Pourtant, au bout de trois ans de guerre et deux mois de présidence Trump, un premier bilan peut être tenté.
1/ Le retour d’une grammaire stratégique ancienne
Depuis la fin de la guerre froide, l’ordre du monde était régi par des principes et des lois que l’on jugeait immuables : droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, intangibilité des frontières, interdiction de la guerre d’agression… Ces principes sont d’ailleurs toujours inscrits dans la charte des Nations unies, mais sont battus en brèche par une nouvelle réalité, celle du retour à une grammaire stratégique ancienne, préalable au xxe siècle. Si l’on reprend le livre fondateur de Kissinger, Diplomatie, il s’agit finalement d’un ordre du monde fondé sur l’équilibre des puissances (balance of power). Mais dans ce contexte, la guerre n’est pas interdite ni les changements de frontière.
La prise de la Crimée par les Russes en 2014 constitue la première marque de cette réalité. En septembre 2022, sept mois après le début de la guerre d’Ukraine, la Russie déclare annexer les oblasts ukrainiens de Donetsk, Kherson, Lougansk et Zaporijia. À chaque fois, des référendums sont organisés, même si la sincérité du scrutin prête beaucoup au doute. Cependant, alors que les négociations sur la fin de la guerre d’Ukraine sont en cours, il paraît très possible que l’accord final reconnaisse de facto (et non de jure) l’annexion de ces territoires.
Dès lors, la question de la guerre revêt un sens tout à fait nouveau pour bien des esprits européens qui l’avaient évacuée. Il faut réapprendre les notions de rapport de force, de victoire ou de défaite, de négociations de paix, selon des critères et des règles depuis longtemps oubliés.
2/ L’ordre nucléaire demeure
Cette guerre a été limitée à un affrontement entre l’Ukraine et la Russie parce que les soutiens de l’Ukraine ont refusé d’aller jusqu’à la cobelligérance : ils craignaient en effet l’escalade, surtout avec une puissance nucléaire qui demeure la première en nombre de (...)
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